de son domaine, si abondants qu’ils soient, n ’aient
encore reçu aucune explication rigoureuse, et ouvrent,
conséquemment, un large accès à tous les systèmes.
Cette situation crée un double écueil pour les observateurs;
car si l’adhérence à un système préconçu nuit
à la réalité de l’observation, d’un autre côté il est
très-difficile de constater un grand nombre de nouveaux
faits sans adopter une classification logique de ceux
de même nature qui sont déjà connus. Nous n ’en préférons
pas moins la condition intellectuelle d’un esprit
libre de toute idée systématique, et q u i, s il ne
donne pas une grande étendue au cercle de ses investigations,
a meilleure chance au moins de leur imprimer
un certain cachet d’exactitude.
Dans un ordre de connaissances non définitivement
constitué, il faut d’ailleurs se prémunir contre la valeur
d’observations destinées à résoudre certains problèmes
qui n’ont qu’un défaut, celui d’être insolubles; cette
méthode qu’enseignent les sciences exactes, trop
m a l h e u r e u s e m e n t n é g lig é e p a r le s n a t u r a l i s t e s , e s t
pourtant apte à économiser bien des efforts : mais
l’origine de toutes les sciences, même les plus positiv
e s, a été signalée par ces fausses spéculations, qui
tiennent évidemment à l’imperfection de l’esprit humain
: de tout temps il a été plus facile de marcher
dans la voie synthétique, et d’exercer les facultés de
l’imagination, que d’aller pas à pas dans le pénible et
étroit sentier de l’analyse : dans le premier cas, il ne
s’agit que de relier ain si, a p rio ri, tous les faits par
une déduction logique, jusqu’au point important qu 1
faut prouver, mais qui, nous le répétons, est insoluble.
N’est-il pas certain que jamais la nature ne livre ses
secrets à cette ambitieuse manière de procéder, et que
chaque découverte n’est amenée que par la lente et
patiente édification du travail analytique? La classification
des faits en sciences distinctes est tout
humaine, et ne porte nulle atteinte à la vaste unité,
qui les enchaîne, et qui forme leur plus haute et
ultime raison; et comme celle-ci est inaccessible à
l’esprit humain (autrement il serait sans bornes), elle
lui impose l’éternelle obligation d ’aller du simple au
composé, et assimile ainsi son progrès à une série
convergente, dont le dernier terme est la Divinité.
Ces réflexions devaient précéder notre travail ethnologique
sur l’Abyssinie, car elles lui donnent son véritable
sens. Dépouillés de toute idée préconçue, nous
ne nous sommes pas attachés à faire une discussion,
mais bien un récit ; peu pénétrés du désir de résoudre
les grands problèmes ethnologiques, écartés d’ailleurs
de cette prétention par l’insuffisance de notre préparation
intellectuelle, nous n ’avons considéré, pour
ainsi dire, que la matérialité des faits, et les livrons
sous la garantie de notre bonne fo i, dans l’espoir
qu’ils ne seront pas entièrement inutiles aux savants
spéciaux.
Ces recherches n ’ont pourtant point été faites sans
choix ni méthode, et il convient d’en instruire préalablement
le lecteur.
Si l’on admet l’anthropologie comme la science qui
comprend tout ce qui regarde l’homme, elle subit di