son fils aux difficultés du gouvernement, avant de lui
en laisser l’héritage. D’ailleurs l’abondance règne dans
le pays; on n ’y voit pas de mendiants; les habitants
vivent d’une existence paisible, à l’abri de ces exactions
violentes qui révèlent soudainement au pauvre et au
travailleur sa triste destinée sociale.
La situation du Tigré et des autres parties de l’Abyssinie
offre une dégénérescence plus naturelle de la
splendeur impériale, et signale ce progrès relatif qui est
celui des époques de transition. Les grands fiefs n ont
pas cessé d ’exister avec les lois du vasselage, mais sans
la suzeraineté qui les relie , et sans 1 hérédité qui les
conserve : ce qui les soumet à toutes les vicissitudes du
désordre et des guerres intestines. A l’heure qu il est,
Oubié a dépossédé ce qui restait d anciens héritiers dans
le Tigré et leur a substitué des gens peut-être habiles,
mais de basse extraction ; en sorte que son p ouvoir,
purement féodal au fond, a les formes despotiques;
tandis que celui de Sahelé, le plus absolu qu’on puisse
imaginer, n ’a conservé de la féodalité que ses apparences.
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Ainsi la plus grande partie de l’Abyssinie est le théâtre
d’une lutte entre les anciens possesseurs de terres
et les nouveaux; état de violence qui répartit d’une
manière assez bien tranchée la nation en gent exploir
tante et gent exploitée; car on peut dire avec raison
que les seuls qui souffrent de ce combat sont ceux qui
n ’y prennent pas part.
Les meneurs constituent la première classe, autrement
dit la noblesse, quoiqu’il ne faille pas entendre
par cette dénomination quelque chose d’id en tiq u e, ou
même d’analogue avec ce qu’elle caractérise chez nous.
Le mot abyssin qui désigne cette classe privilégiée est
bâlabat, au propre qui a un p ir e , et ne rend absolument
qu’une idée d’origine. Il est cependant remarquable
que le nom de famille ne se transmet point en
Abyssinie, usage qui ne permet pas de faire remonter
bien haut les généalogies : au ssi, dans la plupart des
c a s , s’arrêtent-elles au premier degré , et toute illustration
qui n’est pas personnelle au fils, vient du père.
Néanmoins la tradition a pu su iv re , jusqu’à une époque
assez reculée, un certain nombre de hautes lignées, et
bien que la plupart de leurs représentants soient actuellement
déchus de leur g ran d eu r, le sentiment p u blic
les accompagne dans leur disgrâce et leur c ré e , à
défaut d’une force réelle, des titres certains. Quelques-
uns ont levé des troupes et tiennent la campagne contre
les usurpateurs.
On trouve dans les classes inférieures toutes les victimes
de cet ordre de choses; d ’abord le laboureur,
véritable bête de somme à laquelle les hasards de la
guerre ne laissent pas toujours à manger, et qui produit
constamment pour ne rien gagner ; le marchand
soumis à de nombreuses extorsions; l’ouvrier, dont le
salaire est relativement insuffisant.
Les soldats et généralement ceux q u i, de près ou
de loin, s’attachent à la fortune des chefs, sont les seuls
qui vivent sans travail effectif. La classe militaire est
une des plus favorisées, ce qui tend à développer
le goût naturel du peuple pour la guerre. Ces faits