sont tellement entrés dans la situation actuelle de
l’Abyssinie, que la portion de la population qui en
souffre, non contente d’en avoir pris son p a rti, contribue
de tout son pouvoir à les perpétuer, pour ainsi
dire. Le paysan, qui devrait être 1 ennemi naturel du
chef de bande, lui prête au contraire le plus ferme
appui ; comme il ne conçoit pas d autre système que celui
d e là servitude, il accepte tout naturellement d etre
extorqué par le premier venu ; mais sa sympathie est
acquise au possesseur né du sol, et celui-ci recrute
toujours ses meilleurs serviteurs parmi ses anciens vassaux.
D’ailleurs, en les associant à sa fortune, il leur
donne part à toutes les aubaines et à tous les bénéfices
en expectative de son futur triomphe. L Abyssin, enrôlé
sous u n de ces drapeaux, acquiert et témoigne bientôt
les qualités et les défauts qui distinguent généralement
l’homme de guerre, et ceux que produit la tournure
particulière de son caractère; c’est-à-dire qu il est gai,
insouciant, brave à l’excès, sobre au besoin, intempérant
dans l’occasion, superstitieux et débauché, in dolent
et infatigable, vaniteux et humble, aimant à se
parer et couvert de vermine, plein de générosité,
enfin, quand il possède, et mendiant effronté quand
il désire. Son ambition, l’unique objet de ses désirs,
le seul but auquel il sacrifie ses fatigues, son sang et
sa v ie , est d’obtenir du chef le gouvernement d’un
distric t, à la charge de lui tenir compte de la moitié de
l’impôt. L’importance de ces petits fiefs peut varier
extrêmement : il en est qui ne rapportent pas plus de
100 francs par an. Ses relations avec les autres classes
sont très-bornées ; il ne fraye ordinairement qu’avec les
courtisanes. Le marchand, moins à portée de sa vengeance,
le surfait et le vole. Mais il se venge sur le laboureur,
avec lequel ses rapports sont à peu près ceux
du boucher avec le mouton; aussi la crainte qu il lui
inspire est-elle la préoccupation constante de celui-ci;
elle se montre surtout dans la disposition des cultures,
placées de préférence sur les escarpements inaccessibles
à la cavalerie : les villages eux-mêmes se cachent
dans les enfoncements et sur les hauteurs boisees;
si bien que d’un endroit très-peuplé on dirait souvent
un pays désert. Pauvres gens ! qui ajoutent ces transes
continuelles à la pénurie de leur misérable existence;
car leur nourriture varie inévitablement des legumes
secs à la sauce au piment : la viande, chez eux, est un
grand luxe.
Entre ces intérêts si vivaces, le marchand se tient
pour ainsi dire en équilibre; il est au point d’appui
de la balance ; son office le met en rapport avec toutes
les classes, et il donne à toutes pour en recevoir.
L’ouvrier est dans un isolement amené sans doute
par la désolante superstition qui s’attache aux travaux
de quelques-uns d’entre eu x , tels que les forgerons
et les tanneurs. P o u r tous, d’ailleurs, les garanties du
salaire ne sont pas suffisantes. On trouve en Abyssinie
très-peu de fortunes assez grandes pour faire entreprendre
des travaux ; les marchands et les chefs de
province en sont seuls capables. Or, les ouvriers sont
toujours victimes, avec les p rem iers, de l’astuce, avec
les autres, du bon plaisir. Dans les fréquentes disettes