4 H i s t o i r e N a t u r e l l e
s’y trouve pas actuellement autant de lions, à beaucoup
près, qu’il y en avoit autrefois. Les Romains, dit
M. Shawa, tiraient de la Libye, pour i’ufàge des'fpec-
tacles, cinquante fois plus de lions qu’on ne pourrait y
en trouver aujourd’hui. On a remarqué de même, qu’en
Turquie, en Perfe & dans l’Inde, les lions font maintenant
beaucoup moins communs qu’ils ne l’étoient
anciennement ; & comme ce puifîknt & courageux animal
fait fa proie de tous les autres animaux , & n’efl
lui-même la proie d’aucun, on ne peut attribuer la diminution
de quantité dans fon efpèce, qu’à l’augmentation
du nombre dans celle de l’homme; car il faut avouer
que la force de ce roi des animaux ne tient pas pontre
i ’adreffe d’un Hottentot ou d’un Nègre, qui fouvent
ofent l'attaquer tête à tête avec des armes affez légères.
Le lion n’ayant d’autres ennemis que l’homme, & fon
efpèce fe trouvant aujourd’hui réduite à la cinquantième,
ou , fi l’on veut, à la dixième partie de ce qu’elle étoit
autrefois ; il en réfulte que l’efpèce humaine, au lieu
d’avoir foufièrt une diminution confidérable depuis le
temps des Romains ( comme, bien des gens le prétendent
), s’eft au contraire augmentée , étendue & plus
nombreufoment répandue , même dans les contrées,
comme la Libye , où la puifîànce de l’homme paraît
avoir été plus grande dans ce temps, qui étoit à peu
près le fiècle de Carthage, qu’elle ne l’efl dans le fiècle
préfent de Tunis & d’Alger.
* Voye7K les V oyages de M. Shaw, à la Haye, i y 4 3 , tome I , page 3 1 y .
L ’induflrie de l’homme augmente avec le nombre,
celle des animaux refte toujours la même : toutes les
efpèces nuifibles, comme celle du lion, paroiffent être
réléguées & réduites à un petit nombre, non feulement
parce que l’homme eft par-tout devenu plus nombreux,
mais auffi parce qu’il eft devenu plus habile & qu’il a
fû fabriquer des armes terribles auxquelles rien ne peut
réfifter : heureux s’il n’eût jamais combiné le fer & le
feu que pour la deftruétion des lions ou des tigres !
Cette fupériorité de nombre & d’induftrie dans
l’homme, qui brife la force du lion, en énerve aufli
le courage : cette qualité, quoique naturelle, s’exalte
ou fe tempère dans l’animal fuivant l’ùfàge heureux ou
malheureux qu’il a fait de fa force. Dans les vafles dé-
ferts du Zaara, dans ceux qui femblent féparer deux
races d’hommes très - différentes , les Nègres & les
Maures, entre le Sénégal 8c les extrémités de la Mauritanie
, dans les terres inhabitées qui font au deffus du
pays des Hottentots, & en général dans toutes les parties
méridionales de l’Afrique & de l’A fîe , où l’homme a
dédaigné d’habiter, les lions font encore.en affez grand
nombre, 8c font tels que la Nature les produit: accoutumés
à mefurer leurs forces avec tous les animaux qu’ils
rencontrent, l’habitude de vaincre les rend intrépides 8c
terribles; ne connoiffant pas la puiffance de l’homme,
ils n’en ont nulle crainte; n’ayant pas éprouvé la force
de fes armes, ils femblent les braver ; les bleffures les
irritent, mais fans les effrayer ; ils ne font pas même
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