craint ou dédaigne celle des animaux. II eft vrai que de
toutes les efpèces que nous avons rendues domeftiques
dans ce continent, aucune n’exiftoit en Amérique; mais
fi les hommes fàuvages dont elle étoit peuplée, fe fit fient
anciennementréunis,.& qu’ils fefuffent prêté les lumières
<Sc les fecours mutuels de la fociété; ils auraient fubjugué
& fait fervir à leur ufage la plufpart des animaux de leut
pays: car ils font prefque tous d’un naturel doux, docile
& timide ; il y en a peu de mal-faifans & prefqu’aucun
de redoutable. Ainfi ce n eft ni par fierté de nature, ni
par indocilité de caradère que ces animaux' ont confervé
leur liberté, évité l’efclavage ou la domefticité ; mais
par la feule impuiffance de l’homme, qui ne peut rien
en effet que par les forces de la fociété ; fa propagation
même, fa multiplication en dépend. Ces terres immenfes
du nouveau monde n’étoient, pour ainfi dire, que par-
femées de quelques poignées d’hommes, Sc je crois
qu’on pourrait dire qu’il n’y avoit pas dans toute l’Amérique,
lorfqu’on en fit la découverte, autant d’hommes
qu’on en compte aduellement dans la moitié de l Europe.
Cette difette dans l’efpèce humaine faifoit l’abondance,
c ’eft-à-dire le grand nombre, dans chaque efpèce des
animaux naturels au pays ; ils avoient beaucoup moins
d ’ennemis Sc beaucoup plus d’efpace ; tout favorifbrt
donc leur multiplication, Si chaque elpece etoit relativement
très-nombreufe en individus: mais il n en etoit
pas de même du nombre abfolu des efpèces, elles étoient
<en petit nombre, & fi on les compare avec celui des
d u n o u v e a u M o. n d e . 8 7
efpèces de l’ancien continent, on trouvera qu’il ne va
peut-être pas au quart, & tout au plus au tiers. Si nous
comptons deux cents efpèces d’animaux quadrupèdes1
dans toute la terre habitable ou connue, nous en trouverons
plus de cent trente efpèces dans l’ancien continent,
8i moins de foixante-dix dans le nouveau ; & fi
l ’on en, ôtoit encore les efpèces communes aux deux
continens, c ’eft-à-dire celles feulement qui par leur nature
peuvent fupporter le froid, & qui ont pû communiquer
par les terres du nord de ce continent dans l’autre, on ne
trouvera guère que quarante efpèces d’animaux propres Sc
naturels aux terres du nouveau monde. La Nature vivante
y eft donc beaucoup moins agiffànte, beaucoup moins
variée, Sc nous pouvons même dire beaucoup moins forte;
car nous verrons, par l’énumération des animaux de l’A mérique,
que non feulement les efpèces en font en petit
nombre, mais qu’en général tous les animaux y font
incomparablement plus petits que ceux de l’ancien continent
, Sc qu’il n’y en a aucun en Amérique qu’on
puiffe comparer à l’éléphant, au rhinocéros, à l’hippopotame
, au dromadaire, à Ia giraffe, au buffle , au lion ,
au tigre , &c. Le plus gros de tous les animaux de
l’Amérique méridionale eft le tapir ou tapiierete h du
* M. Linnceus, dans là dernière édition, Holm. 1 7ƒ 3, n’en compte
que cent foixante-fept. M. Brijfon, dans fon Règne animal, en indique
deux cents tbixante, mais il faut en retrancher peut-être plus de
foixante, qui ne font que des variétés & non pas des efpèces diftinétes
& différentes.
1 Tapüerete, Brafilienfibus, Pifon, H iß. Nat. pag. r o i . Marcgravü,