anciennement dépayfés, qu’ils avoient perdu toute notion»
toute idée de ce monde dont ils étaient ifius. Tout
femble s’accorder auffi pour prouver que la plus grande
partie des continens de l’Amérique était une terre nouvelle
, encore hors de la main de l'homme, & dans laquelle
la Nature n’avoit pas eu le temps d’établir tous
fes pians, ni celui de Te développer dans toute fon
étendue ; que les hommes y font froids St les animaux
petits, parce que l’ardeur des uns & la grandeur des
autres dépendent de la làlubrité & de la chaleur de 1 air ;
& que dans quelques fiècles, lorfqu’on aura défriché les
terres, abattu les forêts, dirigé les fleuves & contenu
les eaux, cette même terre deviendra la plus féconde,
la plus faine , la plus riche de toutes , comme elle paraît
déjà l’être dans toutes les parties que l’homme a travaillées.
Cependant nous ne voulons pas en conclurre
qu’il y naîtra pour lors des animaux plus grands : jamais
le tapir & le eabiai n’atteindront à la taille de l’éléphant
Ou de l’hippopotame ; mais au moins les animaux qu on
y tranfportera ne diminueront pas de grandeur, comme
ils l’ont fait dans les premiers temps: peu à peu l’homme
remplira le vuide de ces terres immenfes qui n’étoient
qu’un défert lorfqu’on les découvrit.
Les premiers hifloriens qui ont écrit les conquêtes
des Efpagnols ont, pour augmenter la gloire de leurs
armes, prodigieufement exagéré le nombre de leurs
ennemis : ces hifloriens pourront-ils perfuader à un
homme fenfé, qu’il y avoit des millions d’hommes a
Saint-Domingue & à Cuba, lorfqu’ils difent en même
temps qu’il n’y avoit parmi tous ces hommes ni monarchie
, ni république , ni prefque aucune fociété ; St
quand on lait d’ailleurs que, dans ces deux grandes ifles
voifines l’une de l’autre, & en même temps peu éloignées
de la terre ferme du continent, il n’y avoit en tout que
cinq elpèces d’animaux quadrupèdes, dont la plus grande
était à peu près de la groffeur d’un écureuil ou d’un
lapin. Rien ne prouve mieux que ce fait combien la
Nature était vuide & déferte dans cette terre nouvelle.
« On ne trouva, dit de Laet, dans l’ifle de Saint-Domingue
que fort peu d’efpèces d’animaux à quatre pieds’, «
comme le hutias qui efl un petit animal peu différent «
de nos lapins, mais un peu plus petit, avec les oreilles «
plus, courtes & la queue comme une taupe. . . Le chemi «
qui èft prefque de la même forme , mais un peu plus «
grand que le hutias . . . Le moliui un peu plus petit que «
le hutias.. . . Le cori pareil en grandeur au lapin, ayant «
la gueule comme une taupe , fins queue, les jambes «
courtes ; il y en a de blancs & de noirs, St plus fouvent «
meies des deux : c ’eft un animal domeftique St grande- «
ment privé . . . D e plus une petite efpèce de chiens «
qui étaient abfolument muets ; aujourd’hui il y a fort «
peu de tous ces animaux , parce que les chiens d’Eu- «
rope les ont détruits *. Il n’y avoit, dit Acofta, aux ifles «
* Voyt7v I’Hiftoire du nouveau monde, par Jean de Laet. Leyde,
1640, liv. I , chap. IV, page y. Voyez auffi l’Hiftoire de t’ifle Saint-
Domingue, par le P. Charlevoix. Paris, i j y o, tome I , page y y.
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