On pourroit dire auffi que le lion n’eft pas cruel,
puifqu’il ne l ’eft que par néceffité, qu’il ne détruit qu’autant
qu’il confomme, & que dès qu’il eft repu il eft en
pleine paix, tandis que le tigre, le loup & tant d’autres
animaux d’efpèce inférieure, tels que le renard, la fouine,
le putois, le furet, &c. donnent la mort pour le feul
plaifir de la donner, & que dans leurs maflàcres nombreux,
ils femblent pluftôt vouloir alfouvir leur rage que
leur faim.
L ’extérieur du lion ne dément point fes grandes qualités
intérieures ; il a la figure impofante, le regard alfuré,
la démarche fière, la voix terrible ; là taille n’eft point
excelfive comme celle de l’éléphant ou du rhinocéros,
elle n’eft ni lourde comme celle de l’hippopotame ou
du boeuf, ni trop ramaflfée comme celle de i ’hyæne ou
de l’ours, ni trop alongée ni déformée par des inégalités
comme celle du chameau ; mais elle eft au contraire fi
bien, prife & fi bien proportionnée, que le corps du
lion paroit être le modèle de la force jointe à l’agilité ;
auffi folide que nerveux, n’étant chargé ni de chair ni
de graiffe, & ne contenant rien de furabondant, il eft
tout nerf & mufcle. Cette grande force mufculaire " fe
marque au dehors par les fàuts & les bonds prodigieux
que le lion fait aifément, par le mouvement brufque de
fa queue, qui eft affez fort pour terraffer un homme,
par la facilité avec laquelle il fait mouvoir la peau de
fa face & fur- tout celle de fon front, ce qui ajoûte
beaucoup à la phyfionomie ou pluftôt à l’expreffion de
la fureur, & enfin par la faculté qu’il a de remuer fa
crinière, laquelle non feulement fe hériflè, mais fe meut
& s’agite en tout fens, lorfqu’il eft en colère.
A toutes ces nobles qualités individuelles, le lion
.joint auffi la nobleffe de l’elpèce ; j’entends par efpèces
nobles dans la Nature, celles qui font confiantes, invariables,
Sc qu’on ne peut foupçonner de s’être dégradées :
ces efjpèces font ordinairement ifolées & feules de leur
genre ; elles font diftinguées par des caractères fi tranchés,
qu’on ne peut ni les méconnoître, ni les confondre
avec aucune des autres. A commencer par l’homme ,
qui eft l’être le plus noble de la création , l’efpèce en
eft unique, puifque les hommes de toutes les races, de
tous Jes climats, de toutes les couleurs, peuvent fe
mêler Sc produire enfemble, & qu’en même temps l’on
ne doit pas dire qu’aucun animal appartienne à l’homme
ni de près ni de loin par une parenté' naturelle.. Dans
le cheval l’efpèce n’eft pas auffi noble que l’individu,
parce qu’elle a pour voifine l’efpèce de l ’âne, laquelle
paroit même lui appartenir d’afîez près ; puifquè ces deux
animaux produifent enfemble des individus , qu’à la
vérité la Nature traite comme des bâtards indignes de
faire race , incapables même de perpétuer l’une ou
l ’autre des deux efpèces defquelles ils font iffus ; mais
qui, provenant du mélange des deux, ne laiffe pas de
prouver leur grande affinité. Dans le chien l’efpèce eft
peut-être encore moins noble, parce qu’elle paraît tenir
Tome IX . B