12.6 A n i m a u x c o m m u n s
temps ; que par ia même raifon les efpèces les moins
parfaites, les plus délicates, les plus pefantes , les moins
agiflàntes , les moins armées, &c. ont déjà difparu
ou dilparoîtront ; leur état, leur v ie , leur etre dépendent
de la forme que l’homme donne ou laiffe à la furface
de la terre ï
Le prodigieux mahnoat, animal quadrupède, dont
nous avons fouvent confidéré les offemens énormes
avec étonnement, & que nous avons jugé fix fois au
moins plus grand que le plus fort éléphant, n’exifte plus
nulle part ; & cependant on a trouvé de fes dépouilles
en pluiieurs endroits éloignés les uns des autres,, comme
en Irlande, en Sybérie, à la Louiliane, &c. Cette efpèce
étoit certainement la première, la plus grande, la plus
forte de tous les quadrupèdes : puifqu’elle a difparu,
combien d’autres plus petites , plus foibles & moins
remarquables ont dû périr anffi fans nous avoir laifle ni
témoignages ni renfeignemens fur leur exiftence paffée
combien d’autres efpèces s’étant dénaturées, c ’eft-à-dire,
perfeélionnées ou dégradées par les grandes viciffitudes
de la terre & des eaux, par l’abandon ou la culture de
la Nature, par la longue influence d’un climat devenu
contraire ou favorable, ne font plus les mêmes qu’elles
étaient autrefois ! & cependant les animaux quadrupèdes
font, après l’homme , les êtres dont la nature efl la
plus fixe & la forme la plus confiante : celle des oifeaux
& des poiffons varie davantage ; celle des infeétes.,
encore plus, & fi l’on defeend jufqu’aux plantes, que
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l ’on ne doit point exclurre de la Nature vivante, on fera
furpris de la promptitude avec laquelle fes efpèces varient,
& de la facilité quelles ont à fe dénaturer en prenant de
nouvelles formes.
Il ne feroit donc pas impoffible, que , même fans intervertir
l’ordre de la Nature, tous ces animaux du nouveau
monde ne fuffent dans le fond les mêmes que ceux de
l ’ancien, defquels ils auroient autrefois tiré leur origine;
on pourrait dire qu’en ayant été feparés dans la fuite par
des mers immenfes ou par des terres Impraticables, ils
auront avec le temps reçu toutes les impreffions, fubi
tous les effets d’un climat devenu nouveau lui-même &
qui aurait auffi changé de qualité par les caufes mêmes
qui ont produit la féparation ; que par conféquent ils fe
feront avec le temps rapetiffés, dénaturés, &c. Mais cela
ne doit pas nous empêcher de les regarder aujourd’hui
comme des animaux d’efpèces différentes : de quelque
caufe que vienne cette différence, qu’elle ait été produite
par le temps, le climat & la terre, ou qu’elle foit de même
date que la création . elle n’en eft pas moins réelle:
la Nature, je l’avoue, eft dans un mouvement de flux
continuel ; mais c ’eft affez pour l’homme de la fâifir
dans l’inftant de fon fiècle, & de jeter quelques regards
en arrière & en avant, pour tâcher d’entrevoir ce que
jadis elle pouvoit être , & ce que dans la fuite elle pourrait
devenir.
Et à l’égard de l’utilité particulière que nous pouvons
tirer de ces recherches fur la comparaifon des animaux,