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conféquence, une efpèce d’automate impuiffant, incapable
de la réformer ou de la féconder ; elle l’avoit
traité moins en mère qu’en marâtre en lui refufànt le
fentiment d’amour & le defir vif de fe multiplier. Car
quoique le Sauvage du nouveau monde foit à peu près
de même ftature que l ’homme de notre monde, cela
ne fuffit pas pour qu’il puifle faire une exception au lait
général du rapetilfement de la Nature vivante dans tout
ce continent : le Sauvage eft foible & petit par les
organes de la génération ; il n’a ni p o il, ni barbe, ni
nulle ardeur pour là femelle ; quoique plus léger que
l’Européen parce qu’il a plus d’habitude à courir, il eft
cependant beaucoup moins fort de corps ; il eft auffi
bien moins fênfible, & cependant plus craintif & plus
lâche; il n’a nulle vivacité, nulle activité dans l’ame;
celle du corps eft moins un exercice, un mouvement
volontaire qu’une néceflité d’aétion caulee par le befoin ;
ôtez-.lui la faim & la foif, vous détruirez en même
temps le principe aétif de tous fes mouvemens ; il demeurera
ftupidement en repos fur fes jambes ou couché
pendant des jours entiers. Il ne faut pas aller chercher
plus loin la caufe de la vie dilperfée des Sauvages &
de leur éloignement pour la fociété : la plus précieufe
étincelle du feu de la Nature leur a été refufée ; ils
manquent d’ardeur pour leur femelle, & par conféquent
d’amour pour leurs fèmblables : ne connoilîànt pas l’attachement
le plus v i f , le plus tendre de tous, leurs
autres fentimens de ce genre font froids & languiftàns;
ils
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ils aiment foiblement leurs pères & leurs enfàns ; la
fociété la plus intime de toutes, celle de la même famille,
n’a donc chez eux que de foibles liens ; la fociété d’une
famille à l’autre n’en a point du tout : dès-lors nulle
réunion, nulle république, nul état focial. Le phyfique
de l’amour fait chez eux le moral des moeurs; leur
coeur eft glacé, leur fociété froide & leur empire dur.
Ils ne regardent leurs femmes que comme des fervantes
de peine ou des bêtes de fomrne qu’ils chargent, fans
ménagement, du fardeau de leur chaffe, & qu’ils forcent
fins pitié, fans reconnoiflànce, à des ouvrages qui fou-
vent font au defliis de leurs forces : ils n’ont que peu
d’enfans ; iis en ont peu de foin ; touffe reffent de leur
premier défaut; ils font indifférens parce qu’ils font peu
puiflàns, & cette indifférence pour le fexe eft la tache
originelle qui flétrit la Nature, qui l’empêche de s’épanouir,
& qui détruifànt les germes de la vie, coupe en
même temps la racine de la fociété.
L ’homme ne fait donc point d’exception ici. La
Nature en lui refufànt les puiftànces de l’amour l’a plus
maltraité & plus rapetiftê qu’aucun des animaux ; mais
avant d ’expofer les caufes de cet effet général, nous ne
devons pas diflîmuler que fi la Nature a rapetiffé dans le
nouveau monde tous les animaux quadrupèdes , elle
paraît avoir maintenu les reptiles & agrandi les infeétes :
car quoiqu’au Sénégal il y ait encore de plus gros lézards
& de plus longs ferpens que dans l’Amérique méridionale,
il n’y a pas à beaucoup près la même différence
Tome IX, Q