s’en venge en abulànt du pouvoir qu’il a pu s’arroger.
Auffi le tigre eft-il plus à craindre que le lion: celui-ci
fouvent oublie qu’il eft le roi, c ’efl-à-dire, le plus fort
de tous les animaux ; marchant d’un pas tranquille , il
n’attaque jamais l’homme, à moins qu’il ne foi't provoqué;
il ne précipite lés pas, il ne court, il ne chalfe
que quand la faim le prelfe. Le tigre^u contraire, quoique
ralfalié de chair, femble toujours être altéré de làng, là
fureur n’a d’autres intervalles que ceux du temps qu’il
faut pour drelfer des embûches ; il fàiht & déchire une
nouvelle proie avec la même rage qu’il vient d’exercer,
& non pas d’alfouvir, en dévorant la première ; il délole
le pays qu’il habite, il ne craint ni l’afpeét ni les armes
de l’homme; il égorge, il dévafte les troupeaux d’animaux
domeftiques , met à mort toutes les bêtes fauvages ,
attaque les petits éléphans, les jeunes rhinocéros , &
quelquefois même ofe braver le lion.
La forme du corps eft ordinairement d’accord avec
le naturel. Le lion a l’air noble, la hauteur de fes'jambes
eft proportionnée à la longueur de fon corps, l’épailfe
& grande crinière qui couvre fes épaules & ombrage fa
face, fon regard alfuré, fà démarche grave, tout femble
annoncer là hère &,majeftueufe intrépidité. Le tigre trop
long de corps, trop bas fur fes jambes, la tête nue, les
yeux hagards, la langue couleur de fang, toujours hors
dp la gueule, n’a que les caractères de la baffe méchanceté
& de l’infatiable cruauté; il n’a pour toutinflinél qu’une
rage confiante, une fureur aveugle, qui ne connoît, qui
ne diflingue rien, & qui lui fait fouvent dévorer lès
propres enfans, & déchirer leur mère lorfqu’elle veut
les défendre. Que ne l’eût-il à l’excès cette foif de fon
lang ! ne pût-il l ’éteindre qu’en détruilànt dès leur naif-
lànce, la race entière des monflres qu’il produit!
Heureufement pour le relie de la Nature, l’elpèce
n’en eft pas nombreufe, & paraît confinée aux climats
les plus chauds de l’Inde orientale. Elle fe trouve au
Malabar, à Siam, à Bengale, dans les mêmes contrées
qu’habitent l’éléphant & fe rhinocéros ; on prétend
même que fouvent le tigre accompagne ce dernier *, &
qu’il le lliit pour manger fa fiente, qui lui fert de purgation
ou de rafraîchiffemcnt : il fréquente avec lui les
bords des fleuves & des lacs ; car comme le lang ne
fait que l’altérer, il a fouvent befoin d’eau pour tempérer
l’ardeur qui le confume; & d’ailleurs il attend près des
eaux les animaux qui y arrivent, & que la chaleur du
climat contraint d’y venir plufieurs fois chaque jour:
c ’efl-là qu’il ehoifit là proie, ou phiflôt qu’il multiplie
fes maflàcres ; car fouvent il abandonne les animaux
qu’il vient de mettre à mort pour en égorger d’autres ;
il femble qu’il cherche à goûter de leur làng, il le
fàvoure, il s’en enivre; & lorfqu’il leur fend & déchire
le corps, c’efl pour y plonger la tête, & pour fucer à
* Vide Jac. Boiitii, H iß. Nat. Ind. or. Amft. 1658, pag. 54. Voye^
außi le Recueil des voyages de la Compagnie des Indes. Amfi. 1 y 0 2 ,
tome V II , pages 2 7 8 & fuir antes. Voyage de Sclioutten aux Indes
orientales.
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