déconcertés à l’afpect du grand nombre ; un feul de ces
lions du défert attaque fouvent une caravane entière, &
lorfqu’après un combat opiniâtre & violent il fe fent
affoibli, au lieu de fuir il continue de fe battre en
retraite, en fàilànt toûjours face & fàns jamais tourner
le dos. Les lions au contraire qui habitent aux environs
des villes & des bourgades de l’Inde & de la Barbarie“,
ayant connu l’homme & la force de lès armes , ont
perdu leur courage au point d’obéir à là voix menaçante,
de n’ofer l’attaquer, de ne fe jeter que fur le menu
bétail, & enfin de s’enfuir en fe laiflànt pourfuivre par
des femmes ou par des enfànsb, qui leur font, à coups de
bâton , quitter prife & lâcher indignement leur proie.
C e changement, cet adoucillement dans le naturel du
lion, indique alfez qu’il eft fufceptible des imprelfions
qu’on lui donne, & qu’il doit avoir allez de docilité
pour s’apprivoilèr jufqu’à un certain point & pour recevoir
une elpèce d’éducation : auffi l’Hiftoire nous parle de
lions attelés à des chars de triomphe, de lions conduits
à la guerre ou menés à la chalfe, & qui, fidèles à leur
maître, ne déployoient leur force & leur courage que
contre lès ennemis. Ce qu’il y a de très-fûr, c’eft que
le lion pris jeune & élevé parmi les animaux domef-
tiques, s’accoûtume aifément à vivre & même à jouer
innocemment avec eux, qu’il efl; doux pour fes maîtres
* Voye^ l’Afrique de Marmol, tome I I , page 2 1 3 ; & la Relation
du voyage de Thévenot, tome I I , page 1 12.
b Voye^ l’Afrique de Marmol, tome I,p a g e $ 4 i f fuiv.
& même carelfant, fur-tout dans le premier âge, & que
fi fa férocité naturelle reparoît quelquefois, il la tourne
rarement contre ceux qui lui ont fait du bien. Comme
fes mouvemens font très-impétueux & fes appétits fort
véhémens, on ne doit pas préfumer que les imprelfions
de l’éducation puilfent toûjours les balancer ; aulfi y
auroit-il quelque danger à lui lailfer fouffrir trop longtemps
la faim, ou à le contrarier en le tourmentant hors
de propos ; non feulement il s’irrite des mauvais traite-
mens, mais il en garde le fouvenir & paroît en méditer
la vengeance, comme il conlèrve aulfi la mémoire &
la reconnoifiànce des bienfaits. Je pourrois citer ici un
grand nombre de faits particuliers, dans lelquels j’avoue
que j’ai trouvé quelqu’exagération, mais qui cependant
font alfez fondés pour prouver au moins, par leur réunion,
que là colère efl noble, fon courage magnanime, fon
naturel lènfible. On l’a fouvent vû dédaigner de petits
ennemis, méprifer leurs infultes & leur pardonner des
libertés offenlàntes ; on l’a vû réduit en captivité, s’ennuyer
làns s’aigrir, prendre au contraire des habitudes
douces, obéir à fon maître, flatter la main qui le nourrit,
donner quelquefois la vie à ceux qu’on avoit dévoués à
la mort en les lui jetant pour proie, & comme s’il fe
fût attaché par cet aéle généreux, leur continuer enfuite
la même proteélion , vivre tranquillement avec eux, leur
faire part de fà fubfiflance, lè la laiffer même quelquefois
enlever toute entière, & fouffrir pluftôt la faim que dé
perdre le fruit de fon premier bienfait.