
porte sur le rocher qui lui sert habituellement de table, et l’y
déchire en lambeaux. Lorsqu’il voit paître, au bord d’un précipice,
un animal un peu grand, un mouton gras, un vieux chamois
ou une chèvre, il se met à décrire au-dessus de lui des cercles
étroits, et cherche, en l’inquiétant et en l’effrayant, à le faire fuir
du côté de l’escarpement, puis, dans son vol rapide, il passe
auprès de lui comme une flèche et, le frappant dé son aile puissante,
il réussit souvent à le pousser dans le vide. La proie tombe
brisée au fond de la gorge, où le Vautour descend alors pour
s’en repaître. Il commence par lui arracher les yeux et les avaler,
après il lui ouvre le ventre, en dévore les entrailles-et finit son
repas par les os. D’un coup de bec, il broie le crâne des chats
vivants, et les avale ensuite tout entiers.
La légende de chasseurs et de dénicheurs du Gypaète attaqués
par lui, on peut la parcourir avec intérêt dans le beau livre
de M. de Tschudi. Il est une autre légende dont nous voulons
parler, parce qu’elle compte encore des incrédules parmi les plus
savants ornithologistes.
C’est à tort, selon lui, que l’on a émis des doutes sur les
enlèvements et les attaques d’enfants attribués au Gypaète; il en
cite plusieurs exemples.
Même privé de sa libérté, cet oiseau, l’hyène des airs,
comme, l’appelle M. de Tschudi, conserve une voracité et une
avidité à la hauteur de ses facultés digestives. 11 arrive quelquefois,
et c’est surtout le cas chez les Gypaètes captifs, que l’animal ne
peut plus faire descendre les os dans son gésier et dans son oesophage
déjà remplis, si bien qu’ils sortent du bec jusqu’à ce qu’il y
ait de la place au-dessous d’eux.
Nous avons vu l’usage qu’il fait en tout temps de ses facultés;
Les ravages que cet oiseau fait dans les troupeaux ont été tels,
qu’en Suisse sa tête fut mise à prix par une loi qui a reçu son
application jusqu’à ces dernières années. .11 parait que cette mesure
en diminua le nombre, au point que l’on jugea sans inconvénient
aucun de décharger l’État de cette dépense de primes,
qu’on trouva inutile de maintenir la loi, et que, finalement, on
s’empressa'de l’abroger.
On s’aperçut bientôt que l’on avait eu tort, car les ravages
recommencèrent comme avant, et les choses en sont arrivées à
ce point, qu’en juillet 1875, le Journalde Genève constatait le fait
en ces termes :
„ « Depuis qu’on a .supprimé la prime pour la destruction des
Gypaètes, leur nombre tend à augmenter considérablement dan»
l’Oberhasli, au grand détriment des éleveurs de moutons. Sur la
Plattenalp, presque tous les agneaux sont enlevés. Dernièrement
on a découvert deux petits dans une grotte située à la lisière des
forêts. Les deux fils de l’ancien hôtelier d.e la Grimsel, Fruti-
ger,sesont emparés de ces petits,, sans que le père ou la mère
aient fait mine de se défendre. »
Il faut donc s’attendre à voir ce bel oiseau devenir de plus en
plus rare dans les Alpes, et peut-être en Europe; et alors quel
sera son prix? Un beau mâle adulte s’est vendu six cents francs
à la Société zoologique d’Anvers, en 1874.