Cette justice rendue à Belon, voici maintenant les observations
de MM. Alléon et Vian :
« A deux époques de l’année, exposent-ils en 1869, au printemps
et à l’automne, le Bosphore présente, pour les naturalistes',
un spectacle vraiment merveilleux par les migrations des oiseaux
de proie; leur nombre dépasse tout ce que l’imagination peut
supposer. Lorsque l’on a vu ces nuages d’oiseaux formés d’espèces
variées, mais dont les sujets obéissent à une même impulsion,
sans disputes, sans déviations,' au point que chaque bande
paraît former un seul être, on se rend difficilement à l’opinion,
des ornithologistes, qui nous représentent les Rapaces,.à quelques
exceptions près, comme étrangers à tout instinct de sociabilité,
vivant isolément, à peine par paires, disséminés de loin en loin
dans les sites les plus sauvages, chassant même leurs petits aussitôt
qu’ils peuvent se nourrir seuls. »
Ces bandes d’oiseaux passent sur plusieurs points du Bosphore ;
mais le lieu 1er plus favorisé a toujours paru à M. Alléon être
Buyuk-Déré (le Grand-Vallon), village situé sur la rive européenne,
à douze kilomètres de Constantinople, vers la mer Noire,-
à l’entrée d’un vallon qui descend de la forêt de Belgrade, et
que surplombent les dernières montagnes qui terminent la
chaîne des Balkans. Le village et la forêt de Belgrade , qu’il ne
faut pas confondre avec Belgrade en Serbie, sont situés àrquinze
ou vingt kilomètres au sud-ouest de Constantinople'; et à six ou
huit kilomètres de la mer Noire. La forêt, qui n’a jamais été
exploitée, peut être comparée aux forêts vierges de l’Amérique.
Elle est traversée par la chaîne des petits Balkans, qui descend
vers le Bosphore, parallèlement à la mer Noire. Elle offre à
l’explorateur des montagnes et des vallées, des lacs et des rochers
escarpés, de hautes futaies et des taillis, enfin des arbres de
tout âge, et des bois tellement impénétrables par l’agglomération
des lianes et des ronces, que souvent le chasseur ne peut s’y ouvrir
un passage que la hache à la main. La superficie, déjà considérable,
s’accroît chaque année par ses semis que les vents
répandent autour, de sorte qu’au centre s’élèvent des arbres dix
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 9
fois séculaires, tandis qu’à la circonférence la tige du gland sort
de-terre. Cette forêt, où l’on rencontre les sites des plus variés,
fournit, on le comprendra facilement, des repaires et des aliments
aux animaux de toutes les classes.
l e village de Belgrade est enclavé dans la forêt ; il présente
une station privilégiée pour l’observation des oiseaux qui le traversent
fréquemment, et qui nichent aux alentours.
« Les passages du printemps, reprennent ces observateurs,
présentent un spectacle bien différent de ceux d’automne; on
serait tenté de croire qu’ils ne sont pas effectués par les mêmes
oiseaux. Dans tous les cas, les passages ne paraissent pas s’opérer
sous rinlluen.ee des mêmes mobiles. » .
Au printemps, les oiseaux de proie traversent le Bosphore
un peu obliquement, dans la diréction du sud-sud-est au nord-
nord-ouest. -Ils. passent d’Asie en Europe, se dirigeant vers la
forêt de Belgrade et vers les rivages de la mer Noire, presque
parallèlement à la chaîne des petits Balkans. M. Alléon ne les a
jamais suivis au delà de la forêt de Belgrade. Plusieurs d’entre
eux, sans doute, s'y arrêtent, comme les Milans noirs et les
Cathartes à Constantinople: et dans les'villages des environs.
Mais, comme les bandes qu’il voyait traverser le Bosphore peupleraient
toute l’Europe, il pense qüe la majeure partie se
répand sur les Balkans, dans les forêts de l’intérieur, dans les
steppes de la Russie, et peut-être même jusque dans l’Asie septentrionale.
Les passages commencent vers le dix mars et sont terminés
vers la fin d’avril'; ils ont généralement lieu dans la matinée',
rarement après deux heures, mais_presque toujours par
le vent du sud, surtout lorsqu’il souffle avec violence. Les changements
amènent souvent des intermittences de plusieurs jours.
Les Aigles ravisseurs, en livrée brune, forment les premières
bandes ; une semaine ou deux après, passe l’Aigle criard ; enfin,
arrivent ces bandes immenses et compactes qui obscurcissent le
ciel et qui présentent, par milliers, serrés et pêle-mêle , ‘ les
Vautours, les Aigles, les Faucons, les Buses, les Milans, les
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