3o HISTOIRE N A T U R E L LE
chose a lieu à l'égard de tous les oiseaux qui vivent en troupe , c'est-àdire
qu'il arrive souvent qu'un de ces oiseaux s'étant écarté de sa bande
par des causes quelconques, et ne la retrouvant plus, se réunit à celle
d'une autre espece, et que, voyageant avcc.elle toute une saison, il y
reste attaché, lors sur-tout qu'il se trouve transporté dans un pays ou
dans un canton ordinairement inhabité par les siens. Ceci explique naturellement
comment il se fait qu'il arrive quelquefois et tout-à-coup dans
un pays des oiseaux qu'on n'y avoit jamais vus : c'est ainsi qu'il y a deux
ans on vit arriver au jardin des Plantes, parmi d'autres oiseaux, une petite
troupe de becs croisés qu'on sait ne point se trouver ordinairement dans
ce pays-ci. Or ces sortes de nouveaux venus dans un pays avec une bande
d'une espece qui n'est pas la leur ont, pour l'ordinaire, des habitudes,
des moeurs, une maniéré de se nourrir, le vol, et sur-tout les allures différentes
de ceux de leurs compagnons ; ils ne peuvent donc participer
à toutes les actions de ces derniers ; ils conservent même toujours au
milieu d'eux un air étranger, et se tiennent toujours un peu à l'écart de
la bande, ce qui les fait paroître en effet la commander et en diriger les
actions : de là la dénomination vulgaire de roi de tels ou tels oiseaux,
parmi lesquels se trouvent ces étrangers à l'espece à laquelle ils se sont
réunis après avoir perdu leur propre bande. C'est encore ainsi que j'ai
vu, l'année derniere, aux environs de Sezanne, dans la Brie, nommer roi
des étourneaux une litorne qui se trouvoit seule dans une troupe de ces
oiseaux, qu'elle avoit effectivement l'air de présider, ne pouvant les suivre
dans leur vol, ni en imiter les évolutions tournoyantes. Aux environs du
cap de Bonne-Espérance, la veuve-dominicaine (dont l'espece vit en
troupe comme celle des bengalis ou des senegalis, qui y sont de passage
, et qu'on y nomme indistinctement roye - beckies , becs - rouges}
ne porte pas d'autre nom que celui de roi des becs-rouges (koning de
roye - beckies ) ; c'est qu'après avoir perdu sa bande, et s'être associée
à quelque troupe de bengalis ou de senegalis , telle de ces petites veuves
arrive aux environs du cap avec ces derniers, sur lesquels les irrégularités
de son vol, causées par l'extrême longueur de sa queue , ses
allures particulières, les couleurs et les attributs propres de son espece,
donnent cet air de supériorité dont nous avons parlé plus haut. Il est
donc très probable que le manucodc dont il est question dans cet article
se trouve quelquefois et pour les mêmes raisons voyageant avec des bandes
de l'espece de l'oiseau de paradis émeraude, dont on le fait roi ; mais que
ses titres à cette qualité ne sont pas mieux fondés que ceux de la litorne,
de la veuve-dominicaine, et de tant d'autres dont je ne ferai pas ici une
inutile énumération. Ceci prouve au surplus que l'espece de l'oiseau de
paradis émeraude vit en troupe aussi-bien que celle du manucode; car
ces sortes d'associations d'un oiseau à la bande d'une espece à laquelle
il est étranger ne sauroient avoir lieu qu'entre especes vivant ainsi. Cela
DES O I S E A U X DE P A R A D I S . 3i
prouveroit encore, ce me semble, que le manucode ne se trouve pas
communément dans les cantons de la Nouvelle-Guinée qu'habite le
paradis émeraude ; car, s'il se trouvoit dans ces contrées des bandes de
cette espece, il est certain que ceux de ses individus qui y arrivent avec
des bandes étrangères s'y réuniroient bientôt aux leurs propres, et n'y
recevroient par conséquent pas le nom de rois d'autres especes.
La réunion en société de ces sortes d'oiseaux est donc ce que nous
avons de plus positif sur leurs habitudes : leur histoire est en général peu
connue, les voyageurs s'étant contentés de nous transmettre les fables
des peuples à leur égard , sans en rechercher les causes , qu'il ne seroit
cependant pas indifférent de eonnoître , car , toutes ridicules qu'elles
paroissent d'abord, ces fables tirent toujours leur origine de quelques faits
vrais, qu'il est souvent aisé de découvrir et même d'approfondir avec un
peu d'attention. J'ai quelquefois trouvé dans mes voyages chez divers
peuples des idées et des histoires sur les animaux, en apparence très
extraordinaires, mais que je finissois, en remontant à leur source, par
trouver fort naturelles. Que de choses ne trouverions-nous pas tout aussi
simples dans l'histoire même des peuples, si ceux qui nous les ont transmises
eussent pris la peine d'en chercher les raisons primitives ! Mais
il est si facile de se retrancher sur le merveilleux ! et d'ailleurs n'est-ce
pas mieux s'accommoder au goût barbare de la plupart de ses lecteurs?
Après avoir établi les caractères spécifiques du manucode, nous allons
en décrire les couleurs : toutes les plumes de la partie supérieure de la
tête , celles du front, ainsi que celles qui revêtent presque les deux tiers
de la mandibule supérieure, sont fines, soyeuses, et d'un rouge jaunâtre
qui, tirant toujours un peu plus sur Iç rouge sur l'occiput, se change
enfin sur le derriere du cou, le manteau, les scapulaires , les couvertures
supérieures des ailes, le croupion, et les dernieres pennes alaires,
en un pourpre vif des plus éclatants. Ces dernieres parties se glacent, à
certain jour, d'un luisant particulier qui les fait paroître vernies, et qu'a
parfaitement rendu le citoyen Baraban par le moyen d'un glacé d'argent
qu'il a employé dans le dessin magnifique et vrai qu'il a fait de cet oiseau.
Toutes les parties visibles des pennes des ailes ployées sont du même
pourpre , mais d'un ton moins prononcé et moins brillant que le dos ;
celles cachées ont leur dessus brunâtre ; et le dessous de l'aile est d'un
roux clair. Les couvertures supérieures de la queue, qui la cachent entièrement,
sont d'un mordoré éteint: cette derniere, coupée carrément à
son extrémité, et composée de dix pennes, est d'un gris brunâtre avec
une bordure pourpre qui longe chacune de ses pennes en en suivant au
bord les barbes extérieures. Les deux filets qui partent du milieu de la
queue ont quelques barbes d'un roux clair à leur naissance , et sont
entièrement nuds jusqu'à la boucle dont j'ai parlé : ces deux filets sont
ici très déliés et brunâtres ; la boucle qu'ils forment à leur extrémité est
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