loo HISTOIRE NATURELLE
tacheté de larmes blanches sur un beau fond pourpre et azuré, n!est
qu'une variété d'âge de ce dernier, puisque tels sont tous les individus
de l'cspece depuis le moment où ils quittent le nid jusqu'à leur premiere
mue. Tous les oiseaux ont donc leurs variétés d'âge: il est par conséquent
nécessaire, pour avoir une entière connoissancc d'une espece, de savoir ce
qu'elle est dans ces différents âges: c'est aussi ce qui a plus particulièrement
fixé mes observations ornithologiques ; et sous ce rapport je puis
peut-être espérer d'avoir fait faire un pas de plus à nos connoissances dans
cette partie intéressante de l'Histoire naturelle. 11 y a donc deux sortes de
variétés à considérer dans les oiseaux, les variétés accidentelles, et les variétés
d'âges de chaque espece.
Cependant il est souvent arrivé qu'à force de soins on soit parvenu à former
de ces variétés accidentelles des races particulières qui se maintiennent
toujours les mêmes; tels sont chez nous le faisan blanc ou panaché, le paon
blanc ou tacheté de blanc, la pintade blanche, la pintade fauve, etc.; ces
oiseaux, se propageant toujours dans leurs couleurs variées, forment autant
de races distinctes: mais il y a à cet égard une observation à faire, et bien
digne de fixer l'attention des philosophes, c'est que ces races variées ne se
forment et ne se perpétuent que dans l'état de domesticité; car on n'a pas
d'exemple jusqu'ici qu'aucune variété accidentelle d'espece quelconque se
soit propagée dans l'état naturel ; preuve sensible de celte sagesse profonde
qui a présidé au grand oeuvre de la formation des êtres , et qui les maintient
dans toute leur intégrité malgré les accidents passagers qui sembleraient
devoir y porter atteinte. On a essayé, je le sais, de perpétuer dans l'état de
nature les faisans blancs, mais tous les essais à cet égard ont échoué; car
dans le court espace de deux ans la nature ayant repris ses droits, les faisans
blancs se sont couverts de leur livrée primitive, de celle propre enfin
à l'espece ; ce qui prouve encore combien la nature a mis d'importance à
conserver les especes dans toute leur pureté, c'est que, malgré que nous
soyons parvenus par les moyens particuliers qu'on emploie à cet effet à
obtenir un produit de I accouplement de deux especes différentes, mais
analogues, l'animal produit reste toujours inhabile à se propager non seulement
avec ses semblables, mais même avec les especes qui l'ont engendré.
Si la nature n'a donc pu en quelque sorte empêcher un premier écart ou
forcé ou nécessité par des circonstances particulières, elle a su du moins
en réprimer les abus en en arrêtant les progrès. Nous remarquerons même
que ces premiers écarts n'ont absol ument lieu que dans l'état de domesticité,
et même par des soins particuliers; on n'a du moins pas la preuve
encore qu'ils aien t jamais eu lieu dans l'état de nature. Depuis plusieurs
siecles, par exemple, que les animaux et les oiseaux de France sont à-peuprès
tous connus, on n'a pas vu qu'il s'y soit formé une espece nouvelle.
Cependant Bufl'on et plusieurs naturalistes ont pensé cpie les faits du croisement
des especes avoient lieu tlans I état de nature: il en est même qui
DES ROLLIERS. ,OI
ont appuyé cette opinion, mais sans aucun fondement, en admettant des
especes comme produites par l'accouplement de deux especes différentes.
Vosinar a osé donner le kouaga du cap de Bonne-Espérance pour
avoir été engendré par le zebre et fine, quoique ce dernier ne se trouve
point dans cette partie de l'Afrique; et Montbeillard s'est imaginé que
pareeque les anciens n'avoient point parlé de la corneille mantelée, que
celle-ci provenoit du mélange de deux autres especes de nos corneilles.
Pour avancer de tels faits il me semble qu'il faudrait être appuyé par
quelque chose de plus que des conjectures, lors sur-tout que nous avons
des preuves convaincantes que même dans l'état de domesticité il faut employer
beaucoup d'art pour parvenir à ces accouplements illicites que
repousse la nature, et dont les suites, si elles avoient lieu, tendraient
nécessairement à bouleverser l'ordre établi par elle pour la conservation
de cet univers.
D'aprcs tout ce que nous venons de dire, et ce que nous aurions pu y
ajouter, si ces observations n'éloient en quelque sorte déplacées ici, il suit
que s'il est facile de constater les races d'une espece dans l'état de domesticité
, il doit être au contraire très difficile de les déterminer dans 1 état de
nature, en supposant, contre toute probabilité, qu'elles y aient lieu. Ainsi
tout ce qu'on peut dire et conclure à cet égard, en décrivant un oiseau qui
a quelques rapports avec un autre oiseau, ne peut être que conjectural.
Il n'y a donc point, il ne peut y avoir d'inconvénient à donner en cas de
doute un oiseau qui différé par des caractères essentiels d'un autre oiseau
auquel il ressemble d'ailleurs par les couleurs; il ne peut, dis-je, y avoir
d'inconvénient à donner un tel oiseau pour une espece particulière; et
s'il y en avoit, il y en aurait encore moins qu'à ne le considérer que
comme une variété; car toutes les variations que subissent les especes dans
les climats les plus oposés se réduisent à quelques différences légeres dans
les nuances des couleurs, l'oiseau varié ne perdant jamais rien des formes
caractéristiques de son espece : tel est du moins le résultat de toutes les
observations que j'ai été à portée de faire par des comparaisons suivies
•d'especes de climats les plus opposés. Revenons à celle dont il est question
dans cet article.
Le petit roi le est moitié moins fort de taille que le grand : 011 le distingue
aussi à sa queue, proporlionelleinent plus courle. On ne m'objectera
pas, je pense, que la queue de cet oiseau n'avoit peut-être pas encore
acquis toute sa longueur; objection qui m'a souvent été faite en pareil cas,
et qui prouve le peu d'expérience de ceux qui me la faisoient : car rien
n'est plus facile que de distinguer au premier coup-d'oeil si les plumes
d'un oiseau ont pris toute l'extension dont elles sont susceptibles; ce dont
il est même essentiel de s'assurer avant de décrire un individu quelconque.
J'ai donc constaté ce caractere du petit rolle violet, et je l'ai constaté non
pas sur un seul individu, mais sur cinq, dont l'un, celui que j'ai figuré,