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à mon retour en Europe je le tranfj^ortai vivant en Angle '
terre , où je fus conduit ayant été fait prifonnier. Ce changement
de climat , encore plus extraordinaire que celui dit
trajet de l'une de nos Antilles à l'autre , ne parut faire aucune
impreiîîon fur ce reptile.
Par une fuite de ce même préjugé, on imagine que lei
ferpens qui ne font pas venéneux dans les autres Ifles, le
deviennent dans celle-ci ( 3 ).
On trouvera dans mes rkapiiiilations des mois de novembre
5c décembre , un fait qui détruit cette erreur. On
m'avoit envoyé de l'Ille de Sainte-Lucie un de ces ferpens
connus fous le nom de xros-de-chmi. Ils n'y font pas venéneux
, il ne les deviennent pas à la Martmique.
On fait que la digeftion des ferpens eft prodigieufement
lente ; celui - ci me fournit une expérience qui confirme
cette opinion.
Plus de vingt jours avant fon départ de Samte-Lucie
on lui avoit donné à manger un poulet. En me l'envoyanc
on me manda que depuis ce tems il n'avoit voulu prendre
aucune des nourritures qu'on lui avoit offertes. Il retufa pareillement
toutes celles qui lui furent préfentées à la. Ma r -
tinique. A la fin du mois de décembre je le fis tuer ; le
poulet qu'il avoit mangé au mois d'octobre , avant fon départ
de Sainte-Lucie , étoit encore entier , pour ainfi dire,
dans fon corps ; il n'avoit pas perdu fa forme ^ èc les plumes
tenoient encore à fa chair.
Cette obfervation paroît expliquer ce qui a été déjà
avancé par d'autres voyageurs , que les Negres découvrent
par l'odorat un ferpent qu'ils ne voyent point. J'en ai ete
témoin. Ces anim.aux fe décelent par une odeur douçâtre,
qui affadit &C foûleve l'eilomac , quand on paffe près de
( 3 ) Ce fait avoir été même avancé à l'Académie. Voici ce qai eft
rapporté , torn. I. de fes mém. p. j i i . « M. Blondel qui avoit beau-
3. coup voyagé , a dit que les Terpens qui n'étoient pas venéneux dans
les autres liles , le deviennent dans la Martinique , & que ceux de
« cette Ifle tranfportés ailleurs perdent leur venin ».
A L A M A R T I N I Q U E . ICI
Tendroit où ils font cachés. Cette odeur eft fans doute occaiionnée
par cette lente digeftion.
Le nombre des ferpens venéneux eft beaucoup diminué à
la Martinique ; on les détruit à mefure que l'on défriche
les bois. Mais leur fécondation eft trop confidérable pour
efpérer de les détruire entièrement ; ils y cauicnt toujouj-s
beaucoup d'inquiétudes. J'en ai trouvé plus de trente dans
le corps ci'une femelle vivipare qui en avoit déjà mis plufieurs
au jour.
On fait aujourd'hui dans toute l'Iflc la façon de traiter Side
guérir leur morfure , ou , comme on dit aux Ifles , leur
piquiire ; cependant malgré les remedes connus , cette
morfure eft quelquefois mortelle , ou fa guérifon quelquefois
imparfaite laiiîè après elle de fâcheufes fuites.
On dit que fi la perfonne qui eft mordue par un ferpent
vient à être mouillée par la pluie , ou en traverfant quelque
riviere , avant le traitement du mal , la morfure devient
alors prefque incurable, ou qu'elle laiffe après elle des douleurs
pour toute la vie , qui ie renouvellent dans les tems
humides ou pluvieux.
Je n'ai pas été à même de vérifier ce fait afîcz exa£tement.
Il mérite fans doute un examen plus approfondi,
avant d'y ajouter foi. Ce que j'en ai vu ne me fuffit pas
pour en êtte convaincu ; je le rapporterai dans fon tems.
On employe diverfes méthodes & divers remedes pour
ce traitement. Le plus fimple de ceux que j'ai éprouvés,
c'eft celui du caapèba , que l'on connoît à la Martinique
fous le nom de lianne à ferpent, ou mieux encore fous celui
de Lianne à glacer Veau. On lui donne ce dernier nom , parce
qu'elle eft fi mucilagineufe, qu'elle épailîit l'eau dans la-
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Remede le plos
iîmple & éprouvé
par F-Auteur,
quelle on l'écrafe ; cette eau épaiffie forme une efpece de
gelée , elle paroît alors figée. Il faut prendre cette plante ,
la piler , en faire boire le jus au malade de tems en tems ,,
& appliquer le marc fur la morfure , après en avoir un peu
frotté la plaie.
Cette recette fi fimple eft inconnue aux Ifles , quoique
cette lianne encre dans la compofitiôn de quelques-unes de
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