}4 . VO Y A G E
La bienfaifancc & la bonté de leur coeur ne s'étend paien
général fur leurs negres. Ils font la plûpart trop féveres
& trop peu compatiffans pour eux. Si la fûreté publique 6c
la malice des efc\aves font le prétexte ou le prnacipe des
traitemens qu'ils éprouvent, la perte de leur liberté , le déleipoir
de leur fituation, ne devroient-ils pas attendrir en
leur faveur ? L'intérêt même des maîtres l'exigeroit. Mais
quels font les hommes qui n'abufent pas de l'autorité , furtout
quand l'uiage qu'ils en font paroît néceiTaire à leur
conlervation ?
O n les accufe d'être décidés dans leurs volontés , vifs
n-ompts & mipatiens. L'influence reçue de la chaleur da
leur chmat, l'habitude d'être fervis par des efclaves dès
. e n f a n c e , la foibleife générale de leurs parens pour eux,
toutes ces caufes qui , quand ils viennent en France , s'y.
reumiTent a l 'adivité dufang dans la jeuneiTe, les font juKr
a cet égard en Europe avec févérité,.
Ils doivent peut-être à ce caraftere le bonheur qu'on ne
puiiie pas leur reprocher aucun de ces procédés marqués
au coin de la lâcheté , de la trahifon , ou de quelqu'aitre
baiielle d ame. A peme a-t-on quelque exemple à la Maitmique
d aucun crime commis par un créole ( 3 }.
(i J Dans tous íes pays civilifés, les nobles & les riches font or,
dinairement peu coupables de ces efpeces de crimes, qui conduifent
au iupphce. La fortune de ceux-ci leur donne les moyens de fatisfaire
leurs befoins & leurs paffions ; les autres doivent ce'bonheur à let r
naiifance, a l education, d l'exemple. Les principes qu'ils reçoivent
elevent leur ame. Les crimes annoncent toujLrs un homme fo.ble, un
coeur lache ; la.bravoure , qui eft le.premier caradere delà noblefle,
fou^Ls l o i x " " " ' " " ^ ' " ^ ^ ' Pl^e qu;
d e s ^ r ï L T L T m Î ' des riches ont mal-a itfe"s' "; "c ependant cet^te^ magnan' imiPt^é ^dpoarnt tm nêomues
vvouoreu defs Ai méricains. eft générale. Elle eft don! établie fur la br !
Peut-être auffi tient-elle à cette efpece d égalité qui regne entre les
particuliers ^ les rangs, les états fonÎ confondus ; 1 n'en c o Z í^:
A L A M A R T I N I Q U E . 35
Ils ont la franchife en partage ; ils la doivent fans doute
à l'opinion qu'ils ont d'eux-mêmes ; leur vivacité ne laiiTe
cacher leur caraftcre par aucun voile ; ils font confians dc
fans foupçons , comme fanS^diiFimulation êc fans rufes.
La fociété retire deux avantages de leurs qualités ; on ne
voit point dans nos Colonies de mendians ni de voleurs.
La foupleiTe de leur corps les rend propres à tous les
exercices , comme la vivacité de leur imagination les rend
propres à acquérir toutes les connoiiTances , foit que ces
difpofitions viennent de quelque conftitdtion qui appartienne
aux pays chauds , ioit que cette' foupleile du corps
provienne en tout ou en partie de l'ufage où l'on eft de ne
pas les aiFujettir chez la nourrice dans des langes , foit enfin
qu elle foit due aux exercices auxquels ils font habitués
dans nos Ifles dès leur enfance.
Mais la même caufe qui leur donne ces avantages , en
arrête les progrès ; l'imagination , cette faculté de l'ame
qui ne peut fouffrir aucune contrainte , qui prefque toujours
augmente la vivacité des paiTions, rend les Américains
auiFi inconftans qu'indépendans dans leurs goûts ;
elle les entraîne aux plaifirs , qui forment pour eux des
obftacles invincibles. Revenus à l 'Amérique , la chaleur du
climat, les moeurs du pays achèvent de les porter à la diffipation.
Dans les premiers tems de leur éducation , ils donnent
ies plus grandes efpérances pour l'avenir ; dès qu'ils reviennent
dans nos Ifles , dès qu'ils ont même atteint l'âge
pour ainii dire , que deux dans nos Ifles , celui de l 'homme libre j &
celui de l'efclave. Tous ne font pas nobles ; mais ceux à qui la naiffance
a refufé la nobleiTe , cherchent à la remplacer par l'honneur &
ia valeur.
On pourroit retrouver l'origine de cette bravoure & de cette égalité
, en remontant aux exploits & aux aventures de nos anciens flibuftiers.
La néceflité où fe trouvent comme eux leurs defcendans de
défendre eux-mêmes leur pays , feroit encore un des motifs propres
à exciter & à perpétuer ces fentimens.
E i j
Difpoiiuon du
corps Se de refprit.
Qui eit - ce qui
arrête ces difpoiitions.