Portrait des
Américaines.
V O Y A G E
boLullant de la jeuneiTe , Hs perdent le fruit de .(eurs ¿tildes
; lis renoncent pour les plaifirs à l'amour des fciences^
& des belles-lettres. Cependant que d'objets n'ont-ils paslous
leurs mams à l'Amérique,, intéreilans pour l'Europe,
& qui lui font encore nouveaux ou mal connus ?
La nature les a favorifés de fes bienfaits , pour difputer
aux autres contrées , & partager avec eux les honneurs littéraires
; ils n'ont qu'à vouloir , & profiter de leurs avantages.
Toutfemble nous permettre cette efpérance flatteufe;
il commence à regner dans nos Mes quelque émulation
pour les lettres ; le defir d'acquérir des connoiiTances paroit
s'imroduire dans ma patrie. Peut-être qu'enfin cette
maile de lumiere qui éclaire l'Europe depuis un fiecle
qui a pénétré par-tout fucceffivement , paiTera les mers un
jour , & qu'elle étendra fes rayons & fon influence jufqu'à
ce nouveau continent.
l e s Américaines réuniiTentà une extrême indolence ..
la vivacité Se l'impatience...
^ Fxeres, décidées , &c fortement attachées à leurs volontés
comme les hommes , elles font prefqu'auiîi fenfiblesqu'eux
au point d'honneur attaché à la valeur. Une femme
fe croiroit deshonorée , fi la bravoure de fon mari pouvoit
être fufpede.
Il eil difficile de concilier leur carattere généreux &
compatiflant , avec la grande févérité qu'elles employenc
pour fe faire fervir ; févérité qui paroit encore furpailer.-
celle des hommes.
Leur coeur eil: fait pour l'amour , il rallume aifément ;
mais parmi fes triomphes , il ne peut pas compter celui de
leur indolence. Elles aiment tendrement , fans s'occuper
des moyens de féduire , foit que les foins qu'elles prendroient
diiiTent trop leur coûter , foit qu'elles les regardent'
comme des raffinemens de coquetterie , plus propres à altérer
l'amour qu'à l'embellir..
Elles s'attachent fortement à celui avec lequel elles font
unies ; cependant dès qu'il n'eft plus , fa perte décide le
bonheur d'un autre. Il n'eft prefque point de veuve qui
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3ï-iaÎgré fa tendrelfe pour fes enjans , n'eflace bientôt par
nan fécond mariage le nom & le fouvenir d'un homme dont
elle paroiiToit éperduement éprife.
Toutes entieres à ce qu'elles poiTedent , elles font rarement
infidelles à leurs maris. La pureté de leurs moeurs eil
foutenue , ou par leur propre vertu , ou par la difficulté de
cacher leurs défordres dans un pays , dont la maniéré de
vivre ne fe concilieroit pas avec les précautions néceiTaires
à la galanterie , ou par leur fierté, peut-être même par
leur indolence , encore plus par le défaut d'attaques. E les
en font garanties par le goût dépravé des hommes pour
les negrefles..
On fent bien que leur fidélité eft prefque toujours fui vie
d'une jaloufie extrême.
Bien différentes des Américains, elles écoutent froideinent
le récit qu'on leur feiit à tout inftant des agrémens
de la France. Rien ne peut émouvoir leur curio fité ni leurs
defirs pour les déterminer à venir y fixer leur fé our. Attachées
à leur climat, elles ne peuvent rompre eurs habitudes
; la plupart préfèrent de laiffer venir leurs maris feuls
en Europe.
Ce fait, dont on a des exemples fréquens , & qui fembleroit
contredire leur attachement pour leurs maris, &
leur jaloufie , n'auroit-il pas auffi fon principe dans cette
même indolence & cette fierté, qui peuvent leul- faire crain--
dre la comparaifon de l'éducation qu'elles ont reçue avec
celle des Françoifes , & les effrayer iur les foins néceffaires
pour les en rapprocher ?
Cette réflexion fe concilie d'ailleurs avec leur grande timidité,
ou cette efpece de honte qu'elles-ont prefque toutes
à le produire dans le grand monde.
Leur fermeté d'ame furmonte la foibleffe exceffive qu'elles
ont pour leurs enfans ; elles s'en féparent pour les envoyer
en Europe , dès que le moment de leur éducation eft
arrivé. Cependant cette féparation leur annonce une abfence
d'un grand nombre d'années, ôc fouvent même une
abfence éternelle,-