Hxpolîtion des
îravaui de l'Auteur
i la Mardni(.jue.
2 VO Y A G E
Je ne foumets qu'une partie de mes travaux au jugement
de l'Académie. J'ai à pub ier une fuite d'obfervations faites
rendant cinq ans & demi a la Martinique ; je donne actuelement
celle des iix premiers mois de mon iéjour dans cette
Me.
La déciiîonde cette Compagnie fur l'objet & fur l'utilité
des vues que j'ai pu avoir, me fixera fur le plan que je doisfuivre
à l'avenir dans mes obfervations , èc m'apprendra
l'ufage que je dois faire de celles que j'ai encore à lui communiquer.
Je crois devoir commencer par donner une idée des"
travaux que j'avois entrepris , de ceux que cet ouvrage
préfente , & de l'ordre que j'ai fuivi.
Ne trouvant à l'Amérique aucun fecours pour les Sciences
, ne me faifant pas illufion fur les connoilTances qui me
manquoient : alarmé d'ailleurs par une fanté foible
chancelante , diftrait par mes affaires , occupé des devoirsdemon
état , j'aurois dû être effrayé par les feules recherches
qu'exigeoit l'hiftoire naturelle de la Martinique ; mais je
fus féduit par le nombre d'objets que préfente ce climat
dont la plupart font encore mal connus en Europe ; l'amour
de la patrie , & mon goût pour l'étude , fe réunirent pour
rn'encourager ; j'entrepris beaucoup au-delà..
Mon premier objet fut d'examiner & de recueillir les
loix faites pour les Colonies , de remonter aux circonilances
qui les ont dictées autrefois , de remarquer celles qui
auroient befoin aujourd'hui d'être réformées ou abolies. Il
ii'eft pas poffible que pluiieurs de ces Loix qui ont été faites
pour des Colonies naiffantes , ne foient inutiles , & même
mauvaifes pour des Colonies déjà formées , &;_pr_£fque parvenues
à tout leur accroiffemeiit ( i ).
( I ) Ce fut le célébré Locke qui redigea les loix faites pour la
Peniilvanie , quand on entreprit l'établiiîèment de certe Colonie..
L'une de ces loix portoit qu'il falloit aflembler de tems en tems la
Colonie , afin d'examiner les changeraens qu'il y auroit à faire dans
A L A M A R T I N I Q U E . 3
L'hiftoire des loix d'un'xpays tient à l'hiftoire de fes
habitans , &c celle - ci tient prefque toujours à l'hiftoire du
ibl &c du climat.
la légillation , relativement à l'état où fe trouveroit la population , le
commerce , l'agriculture , &c.
J e ne citerai qu'un exemple pour prouver l'utilité, la néceffité même
d e cette fage précaution.
Toutes nos Colonies américaines fe régiiTent par la Coutume de
Paris -, ainiî le partage des fucceflions fe fait encre les héritiers par
égales portions.
On demande pourquoi cette Coutume s'eft introduite plutôt que
toute autre, plutôt que celle de Normandie , par exemple, puifqu'à
proprement parler, ce font les Normands qui les premiers s'établirenr
•dans ces liles.
Cet ufage particulier des partages n'émana point de l'autorité du
'Gouvernement j il fut même adopté fans doute, avant qu'on eût befoin
de Juges ni de Loix écrites.
Quelques Gentilhommes , quelques Cadets de bonnes familles ,
raflemblerent une poignée d'aventuriers & de braves j ils s'embarquelent
avec eux fur un très-petit bâtiment • la fortune les conduifit à
l'Amérique. On fait combien de combats ils eurent à eiTuyer contre
les naturels du pays , contre les Efpagnols , qui prétendoient avoir
feuls la propriété du nouveau monde , & contre les Anglois que la
même fortune & le hafard avoient conduits auffi dans la même lile ,
Se en même tems que les François. C'eft dans cette fituation qu'il faut
chercher l'origine de cet ufage.
Ce partage égal dans les fucceffions , qui paroît fi conforme à la
nature, & qu'elle a fans doute d'abord établi parmi les hommes, fut,
felon les apparences , introduit dès-lors par la bravoure chez ces premiers
habitans & conquérans des Colonies. La même intrépidité dans
tous , les mêmes dangers à affronter , la même deftinée enfin , jointe
à l'efprit d'indépendance qu'elle leur infpiroit, devoient acquérir les
mêmes droits de propriété à chacun des héritiers d'une fucceffion.
Ce que la bravoure fit en étaWiiTant cet ufage dans des Colonies
naiiTantes, eût pu paiTer alors pour le chef-d'oeuvre de la politique &
de l'adminiftration. Mais aujourd'hui cette même politique exigeroic
d'abolir cette forme de partages. Elle eft entièrement oppofée aux inl'érêts
du royaume , depuis que les Colonies font parvenues à uncertain
é __ tat d e vio^ uetir.
Dans un pays que l'on vouloit établir & peupler, où les terres ea
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