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Artifices , íéductions , cntreprifes ouvertes & tentées
avec les plus grandes forces , tout a été employé en diiïerens
tems & ians fuccès par les ennemis.
Cette bravoure &: cet attachement pouf leur Souverain
pnoduifent une foumiffion aveugle pour leurs chefs , qui
ncû par moins connue en France dans toute fon étendue ;
foumiilion d'autant plus remarquable , qu'elle n'eft point
afloiblie par cette intrépidité qui leur fait tout affronter ,
8f qui a fçii conquerir &c confer ver les Colonies ; par l'habitude
qu'ils ont de commander à des efclaves & d'être
obéis ; par une conilitution organique , jointe à la nature
du climat, à la liberté qu'infpirent les moeurs du pays , èc
qui fembleroit les porter à l'indépendance , ii leur zele n'étoitpas
inébranlable. Dès qu'ils reçoivent de leurs fupérieurs
un ordre qui leur annonce une mortification , ou même
témérité opiniâtre. Une réfiftance portée jufqu à ces excès fans utilité , •
auroit été fans cloute défavoaée par la tendreiTe & la bonté du coeur
4'nn Roi , qui eil le pere de fes peuples.
Peut-être que le gele que je témoigne ici pour ina patrie, fera
doiiiex de cette impa.rtialité avec laquelle j'ai annoncé qae j'allois
peindre les Américains. Je ne crains pas ce reproche de la parc de
ceux qui achèveront de lire mon ouvrage. Mais il s'agit de juftifier aux
yeux de l'univers l'amour & k fidélité de mes compatriotes pour leur
Prince j û cet événement naal examiné peut jetter des doutes fur leurs
fentimens.
L'opinion publique s'établit fouvent fur de premieres impreffions
trop légèrement adoptées ; mais le tems ramene toujours le public 3
la vérité. Le caradere d'une nation ne change pas dans un inftant, &
oe fe fait pas connoître par un feul fait.
Les Romains en étoient-ils moins dévoués à la patrie , & moins
braves après la bataille de Cannes ? L'honneur & l'amour pour leurs
Rois s'eft-il effacé du coeur des François pour avoir été vaincus dans
les plaines d'Hochftec ?
Si les efforts des Américains euffent pu fuffire pour réfitler à la
maiTe enorme &c formidable, qui yenoit les accabler , c'eût été fans
doute fous les ordres de M. le VaiTor de la Touche , tant il leur avoit
infpiré d'ardeur & de confiance. Le choix que le Roi avoit fajt de ce
.Général , écoit conforme à celui de tous les coeurs.
uni?
A LA M A R T I N I Q U E . 33
•me détention , ils accourent d'eux-mêmes pour s'y foumettre
, auffi promptement qu'ils volent au combat contre
l'ennemi,
C'eft dans nos liles qu'on voit accomplir ce voeu de la
nature & de la politique , qui exige qu'aucun homme ne
foit inutile à la iociété. Tous les Américains ont un état ;
&: malgré leurs affiiires domeftiques , tous leurs jours font
dévoués à la patrie.
Les uns font deftinés à la défendre par les armes ; la paix
n'eft pour eux qu'un exercice continuel, employé à modérer
par la difcipline militaire cette ardeur , qui eft le vrai
(Toutien de nos Colonies.
Les autres chargés du maintien des loix & de la fureté
publique , y confacrent leurs veilles, leurs travaux , &C
même leurs fortunes , fans avttre efpoir , fans autres prétentions
que l'honneur feul , avec un défintéreiTement qui
devroit fervir d'exemple à toute la terre. La juftice dans les
Confeils fupérieurs de nos Colonies, eft comme celle qu'on
obtient du Ciel ; elle eft accordée gratuitement à celui qui
la reclame ( z ).
S'il fur vient une alarme pour la patrie , tous les corps
n'en forment qu'un feul ; le Magiftrat court fe confondre
dans les rangs avec le militaire & combattre à fes côtés.
C'eft dans ces climats encore oii l'on exerce avec empreiTement
envers les étrangers , fans exception de perfonnés
, cette généreufe & tendre hofpitalité , dont l'hiftoire
ne nous offre plus cjue les anciennes traditions des premiers
âges du monde.
Si le reproche que l'on fait aux Américains , que l'oftentation
a fouvent part à la nobleiTe de leurs procédés , n'eft
pas injufte , ce défaut tourne au moins au profit de l'humanité.
Un arbre utile & plein de feve , n'en eft pas moins
précieux , pour quelques fruits infipides & fuperfîus , qui fe
trouvent mêlés avec les préfens dont il nous enrichit.
( 1 ) Les OfHciers des Confeils fupérieurs ne retirent ni épices, ni
gages , ni émolumens de leur place ou de leur travail.
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