V O Y A G E
rhumanité. Un arbre utile 6c plein de févc n'en cil pas
moins précieux , pour quelques fruits infipides & fuperflus
qui ie trouvent mêlés avec les préfens dont il nous
enrichit.
La bienfaifance & la bonté de leur coeur ne s'étend
pas en général fur leurs Negres. Ils font la plupart trop
ieveres pour eux , & trop peu compatiiTans.
Si la iiireté publique & la malice des efclaves font le
prétexte ou le principe des traitemens qu'ils éprouvent,
la perte de leur l iber tél e défcipoir de leur fituation ,
ne devroient-ils pas attendrir en leur faveur ? L'intérêt
même des maîtres l'exigeroit. Mais quels font les hommes
qui n'abufent pas de l'autorité, fur-tout quand i'ufage
qu'ils en font, paroît néceffaire à leur confervation
.ou à leurs intérêts ?
On les accufe d'être vifs , prompts , impatiens , décidés
, &C trop attachés à leurs volontés.
L'influence reçue de la chaleur du climat, l'habitude
de commander dès leur enfance à des efclaves , & d'être
obéis , la foibleiTe générale de leurs parens pour eux , ia
liberté qu'infpirent les moeurs du pays , toutes ces caufes
qui fe réunifient encore à l'activité du fang dans la jeunefle
, les expofent à un jour peu favorable ; la France ,
oil les moeurs de la fociëtelont plus douces que par-tout
ailleurs, a le droit de les juger à cet égard avec iincérité.
Ils ont peu d'ambition. Ils ne montrent pas une ardeur
extrême à rechercher les graces Se les diilributions.
Leur indolence en feroit-elle la feule -caufe ? Cette indifFérence
ne pourroit-elle pas auffi être imputée à la
diftance où leur paroît être la fource des graces , &; à
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lenteur que cette diftance doit apporter dans les récompenfcs
?
Ils ont la franchife en partage. Elle eft due fans doute
à l'opinion qu'ils ont d'eux-mêmes , & à leur vivacité ,„
qui ne laiiTe cacher leur caradere par aucun voile. Ils.
font confîans & fans foupçons, comme fans diffimulation
ôc fans rufes.
Ils doivent peut-être à ces principaux traits de leur
caraftere ,de bonheur qu'on ne puifTe pas leur reprocher
aucun de ces procédés marqués au coin de la lâcheté ,,
de la trahifon, ou de quelqu'autre baiTeiTe d'ame. A;
peine a t-on quelque exemple à la Martinique d'un crime
commis par un créole.
La fociété retire encore deux avantages de leurs qua--
lités ; on ne voit point dans nos Colonies de mendians
ni de voleurs.
La foupleiTede leurs corps les rend propres à tous lescxercices,
( auxquels ils femblent même borner leurs
plus grandes prétentions ) comme la vivacité de leur
imagination les rend propres à acquérir toutes les connoiflances
; foit que ces difpofitions viennent de quelque
conftitution organique qui appartienne aux pays chauds .
foit que cette foupleiTe du corps provienne, en tout, ou
en partie , del'ufage oii l'on eft de ne pas les aiîijjettirà
la nourrice dans, des langes , foit enfin qu'elle foit due,
aux exercices auxquels ils font habitués dans nos Mes
dès leur enfance..
Mais la mêmecaufe qui leur donne ces avantacres ^
en arrête les progrès. L'imagination, cette faculté dl
l'ame qm ne peut fouff^rir aucune contrainte, qui prefquG
toujours augmente la vivacité des paffions , rend les