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cherchons ? S'ils ont imaginé , comme il le paroîc , que la
nourriture du pere influe fur celle de l'enfant déjà né, ils
auront ians doute penfé encore , en iuivant cette même
opinion , que rien n'eft indifférent à ces enfans dans la
conduite du pere.
De-là peut-être ces attentions fur eux-mêmes , cette privation
d'alimens pendant les premiers jours ; de-là enfin
"cet ufage de reiter au lit, qui aura pu meme être confacré
3ar quelque fuperftition , afin de leur oter les moyens èc
'occafion de s'expofer à aucun danger, ou pour affermir
la fanté de leurs enfans, en prenant ce foin d'affurer la
leur.
Cette feconde opinion dérive affez naturellement de la
¡premiere que nous favons être établie chez eux ; elles fe
"tiennent d'affez près pour qu'on puiffe les regarder comme
une fuite l'une de l'autre , &C les attribuer au même principe,.
Une erreur générale, Se adoptée dans une nation -, eft rarement
ifolée ; une extravagance en amene toujoui-s d'au-
:trcs.
Quelques - uns pourroient cenjedurer encore que fi les
•Caraïbes ont établi chez eux cet ufage dans la vue de s'interdire
l'exercice de la pêche & de la chaffe, leur intention
étoit de ne pas donner occafion à leurs femmes de
mano-er des poiffons ou des oifeaux qu'ils auroient pris.
•Cette intention fe concilie avec l'opinion qu'ils ont que
leurs enfans ( qui font nourris par leurs meres ) pourroient
participer des défauts de ces animaux.
" Ces conjectures font fans doute peu fatisfaifantes ; je
reconnois d'avance ce qu'on peut leur objecter. Mais peuton
jamais donner une bonne raifon d'une bizarrerie qui
paroît s'écarter autant du bon fei:is ? Ce n'eft pas dans les
ufages qu'il faut remarquer la bizarrerie ou l'extravagance,
c'eft dans le principe qui les a fait naître : s'il eft une fois
adopté par une nation , les fuites n'en doivent plus étonner.
Cette réflexion m'a fait hafarder ces conjectures fur un
fait extraordinaire , dont perfonne, je crois , n'a cherché
.encore à démêler l'origine , on a mieux aimé en douter ; je
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île les donne que comme une invitation pour engager à en
former d'autres , ou comme une indication feulement qui
peut rendre plus croyable cet ufage, en l'envifageant par le
rapport qu'il peut avoir avec les principes ou les préjugés
de ce peuple.
Ils ne font pas plus vifs dans leurs fêtes que dans leurs
occupations ordinaires ; les plaifirs d'une nation portent
toujours l'empreinte de fon cara£tere.-L'indolence &c l'ennui
font peints dans ceux des Caraïbes.
Ils font auffi adonnés à la boiffon que fobres fur le manger
; à peine boivent-ils qu'ils font ivres. Alors ils font une
danfe en rond fi grave & fi férieufe , que le corps ne paroîtpas
y prendre plus de part que l'ame. Cependant cette danfe
eft conduite en cadence, par la mefure lente d'un chant
monotone, lugubre , &c qui leur échappe à voix éteinte.
Ces triftes fêtes , femblables à ces tems fombres qui annoncent
les orages , ne fe terminerat jamais qu'il n'y ait du'
fàng répandu. Ils fe rappellent dans leur ivreffe les anciennes
inimitiés de leurs familles ; ils rallument les querellesqui
s'étoient foulevées entre leurs peres, & finiffent par
s'égorger.-
La haine &c la vengeance fe perpétuent ainfi chez eux par
leurs plaifirs mêmes.-
Le defir de fe venger , cette palîion cruelle , dont nous
fommes auffi fufceptibles qu'eux , & que la nature a donnée
à tous les êtres animés , femble donc être la feule qui puiffe
émouvoir le coeur de ces hommes que nous comparons fouvent
aux bêtes fauves , parce qu'ils n'ont pas nos moeurs ,
c'eft-à~dire, les mêmes vertus Se les mêmes vices que
nous.
L'intérêt, l'amour & l'ambition , qui parmi nous fe croifent
èc fe combattent fans ceffe, qui mettent chaque homme
en oppofition avec tous les autres hommes , ces fources
fécondes de malheurs &c de rivalités chez les nations policées
, qui ont fouvent ébranlé ou changé leurs loix Se leur
conftitution , qui ont fouvent détruit ou divifé les empires
lïe troublent j amais le bonheur Se la tranquillité des Caraïbes, •
Leurs ûtf!ii •
La vengeSncà'
feule femble trou-'
bler leurs coeurîiii^^
mLém ¡sÉifeK