3°. Il faut les laiffer deux ans daris l’étang d’accroiffement. Cet'étang doit
être, plus grand que la carpière, & ne contenir aucun poiffon vorace. Quand
les carpes font groffes & de la bonne efpèce, dans l’efpace de trois ans,
elles ont ordinairement iix pouces de long ; mais quand elles font de la
mauvaife efpèce-, elles ne parviennent, dans le même efpace, qu’à la
moitié de cette longueur. Quand elles font d’une excellente efpèce, &
qu’on les nourrit bien, elles parviennent jufqu’à huit pouces ; ce qui
ne laiffe pas d’avoir beaucoup d’influence par la fuite. Une carpe de la
maüvaife efpèce, ne pèfe qu’une livre & demie au bout de fix ans;
une de l’efpèce moyenne en pèfe trois, & les meilleures vont jufqu’à
quatre à cinq livres, quoiqu’elles ayent eu les mêmes foins & la même
nourriture. Au bout de dix ans, lès premières pèfent’ quatre à cinq
livres} les fécondés fix à huit, & les dernières dix à douze. S’il arrive par
quelqu’obftacle que le nourrain foit rabougri, quand même on lui donnerait
de la nourriture en abondance, cette efpèce, au bout de dix ans, pèfe à
peine une livre & demie: alors la tête eft greffe, les arrêtes fortes, &la
chair en petite quantité. Il faut bien cinquante carpes de cette efpèce
pour faire un quintal. Quand les carpes ont refté deux ans dans l’étang
d’accroiffement, & qu’elles ont trois ans, on les met dans
3°. l’étang à engraiffer, où au bout de trois ans elles pèfent trois.à
quatre livres, & peuvent être affez grafles & "affez bonnes pour être
vendues, pourvu toutefois quelles foient d’une bonne efpèce & qu’elles
ayent été bien nourries. Mais ceux qui ne fauroient fe procurer eux-mêmes
de la femence pour l’empoiffonnement de ces fortes d’étangs, trouveront
rarement du profit dans cette branche d’économie. Il en coûte d’acheter
cette femence : on eft fouvent trompé; & le tranfport eft difficile, fur-tout
lorfque l’endroit eft éloigné.
La nourriture des carpes confifte en une terre graffe compofée de
plantes pourries, femblables au terreau des jardirisi: Cette terre fe forme peu
à peu fur les prairies par les plantes qui S’y pourriffent. Les carpes fouillent
profondément dans cette terre, & en tirent un fuc nourriffant, tel qu’on
le trouve dans les petits trous dés lacs qu’on vient de vider. Quand cette
efpèce de tourbe eft pofée fur un fond limoneux, la carpe trouve une
nourriture encore meilleure, qu’elle tire aufli de ce fond. Outre cela, elles
mangent aufli toutes fortes de plantes & de racines pourries, les jeunes
plantes aquatiques, & pendant l’Été, les infeétes & les vers. En Juillet
& Août, tems auquel les carpes cherchent ordinairement leur nourriture
fur les bords, il ne faut pas, fans néceflité, y aller chercher de l’eau
fraîche, ni permettre que les bergers, les chevaux ou les vaches s’en
approchent; parce que le bruit interrompt les carpes & les empêche de
prendre leur nourriture. Il eft bon auffi de placer des abreuvoirs auprès
des étangs, afin que la fiente du bétail y fourniffe une plus grande
quantité de parties nourriffantes. Quand les baffes-cours ne font pas
éloignées des étangs, il eft bon de pratiquer des conduits qui y faffent
paffer l’eau du fumier. Il en eft de même des eaux des cuifines. On jette
aufli dans le fond des étangs de là glaife mêlée avec des crottes de brebis,
que l’on mêle dans .des. tonneaux, & que Ion fait fortir par des trous
que l’on fait autour. D’autres y jettent des fèves, des pois, des pommes
de terres: coupées, des navets, de l’urine, des fruits pourristgjdù pain
moifi, du poiffon gâté & du pain de^enerns. Les carpes aiment toutes
:ces chofeS. Mais comme cette nourriture entraînerait dans dépenfes, les
poffeffeurs d’étangs ou fermiers ne peuvent mieux faire, que de jetter de
■tems en tems dans les étangs, de la fiente de cheval, de brebis, ou de
vache, feule-ou.mêlée avec du limon. Quand a commencé à leur donner
à manger, il faut continuer; parce que par-là elles fe déshabituent de
chercher leur nourriture, comme nous l’avons décrit à l’article de là gibèle.
Il y a des cultivateurs qui font voiturer en hiver quelques tombereaux de
fumier fur la glace, afin que les carpes trouvent delà nourriture auflitôt
qu’elle eft fondue. M,le baron de Schulenbourg, qui a lui-même effayé de
le faire, dit que cela contribue beaucoup à l’accroiffement des carpes.
Quand les carpes qu’on veut engraiffer ont fix ans, on vide l’étang,
& on en tire les carpes qui fe raffembleht dans le baflin. Dans ce cas,
pour qu’elles foient bonnes, il faut qu’il n’y en ait pas plus de trénte à
•trente-cinq au quintal. Cependant il n’eft pas toujours néceffaire de pêcher
& de vendre les carpes dans la fixième année. Il y en a qui les laiffent
encore mois ans, 'ou qui les tranfportent dans d’âutres étangs, & fle les
vendent qu’à l’âge de neuf ans. Alors chaque carpe pèfe fix, huit, dix &
jufqu’à douze livres, félon la qualité de la nourriture & la bonté de l’efpèce.
Mais comme il eft bon de retirer fon capital aufli fouvent qu’il eft poflible,
il eft à craindre qu’on n’ait plus de perte que de profit à laiffer devenir les
carpes fi vieilles. Ordinairement après la troifième année, on laiffe. un an
■à fec l’étang à engraiffer. Cette précaution eft néceffaire à plus d’un
égard. D’abord cela détruit les poilfons voraces, la trop grande quantité
de joncs & de rofeaux, qui nuifent au poiffon. En fécond lieu, comme les
carpes ont mangé toutes les racines des plantes, on leur procure une
nouvelle nourriture, en labourant au printems le terrain de l'étang, & en
femant de l’avoine, des raves ou des veffes (r). Quand l’avoine-eft-mûre,
on la fauche & on l’amaffe : les racines relient, & fervent de nourriture
aux carpes qu’on y met l’année fuivante.
Quant au nombre des carpes qu’on peut mettre fur une certaine
étendue, il n’y a point de proportion déterminée. Ordinairement on compte
foixante poilfons pour un arpent; c’eft-à-dire la première année, & lorfque
s) En Siléfie, onième dans plufieurs ¿tangs du froment, du feigle, & fouvent aufli on y plante
des choux blancs.