Les carpes privées font nourries & engraiffées dans trois différentes
fortes d’étangs, qu’on a nommés : étang de frai (Streichteich), étang
d’àccroiffiment (Streckteich) & étang à engraijfer (Fettteich).
Tout étang doit être fltué & difpofé de manière que dans toutes les
faifons il puiffe être rempli d’une quantité fuffifante d’eau & être vidé jufqu’au
fond quand le cas l’exige. On choifit pour cet effet, de préférence, des
marais, ou des endroits à peu près en baffin, où l’eau fe rende fans peine,
& d’où elle puiffe fortir commodément, & qui foient couverts de joncs ou
de rofeauX; où enfin des prés ou des pâturages, fitués dans des endroits
trop profonds & trop marécageux pour produire un bon foin. Il faut
cependant obferver que les carpes ne réuffiffent pas dans un mauvais
terrein dont le fond eft froid. Il faut creufer ces endroits en pente, de
manière que les eaux puiffent s’y réunir comme dans un bafïin, & en fortir
avec la même facilité. On peut faire fortir cette eau, foit quelle vienne
d’une fource ou d’ailleurs, par le moyen d’un canal pratiqué vers là
chauffée, & d’une bonde qui fe lève ou fe baiffe à volonté. Comme
. on eft prefque toujours dans le cas de creufer, pour former l’étang,
un foffé' large & profond, qui règne dans toute la longueur du terrein,
il faut que l’eau puiffe s’amaffer à une hauteur fuffifante, non feulemetft'
pour remplir le foffé, mais encore pour relier trois pieds au - deffus
dés prés.
i°. Les étangs de frai où l’on met des carpes mâles & femelles pour
peupler, ne doivent avoir qu’un ou deux arpens; c’eft-à-dire environ
80 à 100 toifes en quarré, & être fîtuées vers l’orient ou le midi, afin
que la chaleur du foleil puiffe bien y pénétrer. Il eft donc néceffaire d’en
éloigner avec foin toutes fortes d’arbres f & fer-tout les aunes, dont les
feuilles pourroient être nuifibles au poiffon. Elles doivent avoir auffi des
bords unis qui, s’abaiffant de tous côtés par une pente infenfible, forment
un baffin de cinq à fix pieds, couvert d’une affez grande quantité de joncs
& d’herbages, pour faciliter le frai du poiffon. Il faut obferver cependant
que les herbages ne doivent pas être .trop hauts. Pour former ces fortes
d’étangs, on choilit, de préférence, dans le meilleur endroit d’une
campagne, un fond couvert d’herbages. Ces étangs ainli placés dans une
campagne découverte, ont beaucoup d’avantage fur ceux qui font dans
les bois. Si cependant on étoit obligé d’en faire dans ces derniers endroits,
il faudrait avoir foin d’ôter les branches & les autres morceaux de bois,
qui peuvent nuire au poiffon. Tant qu’on y conferve la femence, il ne faut
pas en laiffer fortir la moindre quantité d’eau, de peur que le nourrain
n’en forte en même tems. Il faut tâcher auffi d’en éloigner les grenouilles;
parce qu’elles mangent la femence. Quelques économiftes prétendent que
le meilleur moyen d’y parvenir, eft d’y mettre des écréviffes, qui prennent &
mangent les grenouilles. Il ne faut cependant pas que les écréviffes y foient
eh
eh trop grande quantité, parce qu’à la fin elles n’épargneraient pas même
le poiffon, & mangeraient le nourrain. Les canards, qui font très-friands
de la femence, doivent auffi être écartés avec foin. On y parvient par
le moyen des épouvantails; c’eft-à-dire de longues perches, au bout
defquelles on attache des chiffons, fi ne ferait pas bon non plus, d’y
mettre des brochets, des perches, ni d’autres ëfpè'ces voraces. LeS
caraffins & les gibèles doivent auffi en être exclus; parce qu’ils frayeraient
avec les carpes, & produiraient des efpèces bâtardes; On choifit pour
les alevinières des carpes de fix ans, qui foient bien conliituées, d’une
bonne gtoffeur, dont le dos foit noir , le Ventre gros & oppofant de là
réfiftancè quand on lé preffe ' avec le doigt. Cependant on peut auffi
employer pour cela des carpes de fept, huit & même de douze ans. H
y a des peffônnes qui prétendent, qu’il ne faut les mettre dans l’étang
que vers le milieu de Juin; c’eft'-à-dire lorfque'l’eau eft fuffifamment
échauffée.
On mettra deux ou trois mâles pour une femelle; on proportionnera
le nombre à l’étendue de l’étang, & on mettra douze carpes fer chaque
arpent de terrein. Dans quelques endroits, on fe fert de moyens artificiels
pour augmenter le penchant naturel des poilfons pour le frai. - On frotte,
par exeiiiplé, les nageoires & le trou ombilical avec du cafloreum & des
effences faites avec des épiceries. Mais ces moyens nuifent en général aù
poiffon, qu’on eft obligé pour cela de manier & de preffer. D’ailleurs, le
Créateur a mis dans tous les animaux un penchant pour fe multiplier, qui
n’a pas befoin des reffources de l’art. Quelques perfonnes laiffent la
femence dans les1 alevinières jufqu’au printems. Mais ¡alors ils font expofés
à fécher en Eté, & à geler en hiver. Ce qu’il y a de mieux, c’eft de pêcher
fur la fin dé l’automne, le poiffon qu’on veut faire multiplier, & de le
mettre dans des étangs d’hiver ou dans des carpières, ou enfin dans des
réfervoirs, s’ils font affez grands. Cependant fi les étangs d’accroiffement
étaient difpofés de manière à ne faire craindre, ni là féchereffe de l’Été, ni
la geléè de l'hiver; c’eft-à-dire fi l’on poüvoit en augmenter & en diminuer
l’eau à volonté, par le moyen d’une fource, 011 pourrait y laiffer le
nourrain pendant l’hiver. Quand 011 vide la carpière, il faut mettre devant
la bondé, un filet à petites mailles, afin que les petites carpes ne paffent
point avec l’eau. Quand l’étang eft vidé & que les carpillons font
raffemblés dans le baffin, on lès prend avec une tfublé, ou un coleret â
petites mailles, & on les met dans des tonneaux pleins d’eau. On peut
cependant fe palfer des caipières & 11c point faire ce que nous venons de
prefcrire, fi l’on fait prendre dans une carpière des herbages pleins d’oeufs,.
& qu’on les dépofe fur les bords de l’étang qu’on veut empoiffonner. Par
ce moyen, on peut à peu de frais peupler un étang d’un nombreux
nourrain, comme je l’ai dit à l’article de la blême.
Part. I. Y