facile de se convaincre plus tard par la comparaison de monuments
analogues.'-'
A la gauche du monument, et en avant du lit-sacre, est un jeune
enfant vêtu d’une simple tunique sans manches, dont le pan droit
laisse son epaule e t sa’poitrine à nu j e t qu’une .ceinture relève' au-
dessus des genoux. De la main-gauche ¡il tient un objet arrondi' que
M. Trézel, sans doute trompé par l’état de mutilation de cette partie
saillante du monument, a pris pour une feuille de nenúfar ou un
éventail, mais qui,;à en juger pard’aubæs sujets semblables, devaitêtre
.un itpoj'oo;. De la main droite il puise, sans doute avec un cyathus*3,
dans un'large cratère terminé en ceuf à la base, et soutenu par un
pied creux dans lequel il s’adapte comme le prouvent plusieurs vases
.peints de la collection, du prince de Ganino, qui o n t été retrouvés
avec leur pied antique **.
Avant de passer à l’explication de ce monument, je dois dire que
dans les deux personnages príncipaux'je vois deux divinités e t non
pas.deux mortels. Cette opinion se fonde sur la différence du costume,
sur le sacrifice indiqué ,'etsurtout sur les proportions plus qu’humaines
■que ces deux personnages ont'reçues de l’artiste, comparativement
aux différents membres de la famille qui*vient sans doute les invo-
.quer. E t si j’insiste sûr ce point, c’est que Zoega *5, contre l’autorité de
lüllustre Visconti*6, nie que les artistes de l’antiquité aient employé
ce moyen pour caractériser la nature divine. Mais, il faut le d ire, sa
réfutation n’a aucune sôlidité;i) s’est trompé sur le sens de presque
tous les monuments qu’il cite à l’appui de son opinion. Ainsi, par
exemple, sur u n bas-relief que Faciandi a publié dans ses Monumento
Peloponnesiaca( 1. 1 , p.ïj[-jo),- et q u i, comme nous le prouverons
plus tard, représente une offrande religieuse, les deux personnages
d’une-taille plus élevée-sont, non pas des mortels, mais deux d iv i-;
n ité s, e t sur l’autre monument d û même recueil ( t. I I , p. a 3 4 ), '
auquel il renvoie également, la plus petite figure est un enfant. Il en
est de même des n“ i 43 e t i 44 des marbres d’Oxford, et des
.exemples qu’il.emprunte au musé#de Vérone; tandis que l’opinion
contraire a pour elle un nombre considérable de monuments dont
le sens ne peut donner lieu, à aucun doute*’, e t celui-là même au
sujet duquel Zoega, par un esprit de contradiction dont son dernier
ouvrage offre plus d’une preuve, a cherché à nier un fait-incontestable.
Il était d’ailleurs d’autant plus .important de- constater ici la présence
de: deux divinités que plusieurs monuments qui retracent des'
scènes semblables, e t dont j’aurai bientôt occasion de m’occuper,
n’offrant que les deux- personnages principaux, seuls ou avec le jeune
échanson, l’absence dès suppliants pourrait laisser des doutes sur
l’explication que j’en donnerai.
Cela posé, occupons-nous d’abord du Sens qu’il convient de donner,
à la tête de-cheval placée à l’angle gauche de notre bas-relief. Ce symbole
figure sur un grand nombre dé monuments, et a été l’objet
d’interprétations trèS-diverses. Ch. Patin*8 pense qûé le chévèl fait
allusion aux courses funèbres qui avaient lieu à lit mort des persom-
nages illustrés; le P . Paciaudi*9; se bornant à l’èxpÎiçation d’un séul
monument, y voit la monture d’une femme maladé qui vient consiilter
son médecin-50, ou un remède que le médecin a prescrit.[Je passe sóús
silence, en ce moment, deux autres inJSrprétatidfis’ qu’il propose encore
dans son extrême incertitude ; j ’aurai-liêu d’en parler plus haut.
Winckélmann ?*, qui paraît n’aVoir connu que trois, èxeinpleë de ce
symbole,- y. a vu le cheval Arion, fruit des amours de Cérès e t dé
Néptune; Zoegg5“, qui cette fois niait avec raison l’interprétation;de
'Winckélmann, mais en proposait'une encore'moins admissible, a'.Vu -.
dans ces monuments des scènes domestiques, e t dans lq'symbole en-
question uni cheval favori que son inàître à voulu rapprocher'le plüs
possible de lu i, pour l’avoir sans cesse sous les yèux: Viscoñti s?,
plus près de la vérité, mais restreignant beaucoup trop le sens dti
symbole, affirme que le cheval annonce que le personnage près duquel
il est place est ou un liéros pû ün clievàliër.‘ï> s interprètes du
musée de Màntoue s* rapportent le sens donné par Winckélmann, et
une autre opinion d’après laquelle la tête du cheval indiquerait que lé
sculpteur s’appelait Equitius ou Hippiàs ; mais ils n’adihètfeht ni l’une
ni 1 autre de ces interprétations, e t pénsent que lé cheval indique le
mois d octobre. E t cependant tous, Patin-excépté-, auraient -pu cbû-'
naître la dissertation de Passeri de ânimarum iransvectione
ce savant antiquaire prouve que la présence du cheval, sûr là plupart
des monuments, indique le passage dans l’aiitrè vie', et'annonce par
conséquent que ces monumentsisoht funéraires. Toiis ils auraient dû
savoir que cette opinion avait été'adoptée par G ori55 et p ï r Caylus 57.
C’est le sens auquel les plus h'abiles archéologues de notre éppque se
.sont arrêtés, et parmi eux ilim e suffira fié citer MM. Raoul Ro
chette68, Inghirami 59j.Rinck«o et ¿ O. Mullér8^
Mais le clievar a-t-il tdujôürs.cëtte signification funéraire? Est-ce.
bien là le sens qu’il faut lui donner sur notre monument e t sur tous
les monuments du même genre? Même avec la signification funéraire,
serappOrtè-t-iÎ toujours à une même circonstance du voyage suprême?
Ce sont autant d é questions qué je yais examiher à l’aide dés témoignages
bien vagues et bien peu nombreux que les auteurs anciens
nous ont laissés, mais aussi à l’aide des monuments aussi nombreux
que variés qui peuvent suppléer au silencè dés textes.
Dès les temps les plus anciens le cheval joué Un grand-rôle dans lés
cérémonies funèbres. Déjà à l’époque homérique, les coursés de chars
font Une partie essentielle des jeux, célébrés à l’occasion drê funérailles,
sans doute par allusion à là'révolution du soleil-,. image alternative
de la vic-.ét dé la mort6“. Bien plus, prévoyant que’tôSt ne finit pas
avec cette vie, mais qu’il èst une autre cxistehcè qui commence poUr
nous avec la-mort, les Grecs, dès cette même époque, ' sacrifiaient
sur le bûcher du défunt les chevaux e t les clïiens qu’il avait aimés 63
afin qu’il l« retro u v â t dans l’autre vie6*. Plus tard, quand Vimàgmàtioh
‘ Cest ce que prouve lè cratère dc.bronze conservé au musée deNaples et “ Muséum ctrasçum, vol. m,.p. -v V'
provenant, je crois,.d'Hercutanum. On aretrouvé dans ce vase le çjratHus quji ” Recueil ¿antiquités, t VI, p. 181. À
servait à y puiser. Voyez, pour la forme du éyathus, Panoflsa, RechercheS » Monuments inédits,*01. 1, p. 9 6 ,* note r, p. Ïa 5 et note 5
jur les nom, des vota grecs, pl. VII,Gg.5, p. »4. » Monum. clrttsc.,vol. X passim'.
‘ Voyez 2ïescript. à!une ' collection de vases peints, et de bronzes ont. proo. S Kunstblau, a6 mai et 2; juin 1826
“ Mus- § | aem>tV , tav. XXVII. Cf. Panofka, musdePottrtaUs,plXVm, in altitudinem suam ut in robur reoir/iturjureiïtutis
^ ** Hom. II. XXm, V seqqi » Torpstr», J L mnior
« Voyez Caylus, t. m , p. ip §;; v. p. z „ , musée de Mantoue, v o l.I, suiv. •. ^ d ™ q - homer.,
***' d ^ ^ e o r i g . et usu obolisc.,-pi 2791 note 2, a prouvé que
Ü C° ~ ar,as » M groeças Smyma nuper allutas. Patav.i, les ’anciens G e in s , cher t o T l ^ v Ï ” d.‘eT1« ScÿteduPo
’ P' • ■ ■ ■ &. - -chez,les Tonguses de la Sibérie. btÈÏ etc. — Dans un tombeau . lé Pi
c #
des poètes eut fixé je théâtrèldeiéetfè vie meilleure dans ¡les,champs
fortunés, bien loin à l’ôccident de cette terre ;.le.cheval, emblème de.la
rapidité, le-cheval qui figune au lever du soleil e t à son coucher, ¡et
qui encore.dans ce c asc st successivement un symbole.de,làmaissance
et un symbole de la mort, le.cheval eut pour,mission de porter le
defunt dans ces demeures si.reculées , et d’abréger :-p.our lui la durée
de ce long:'.voyage. G’est ce qu’atteste d’une.manièreincontestable le
passage ¿îi -.Q'uintus dé Smyrne 65 raconte les destinées des chevaux
d’Achille:: :
Qlctpccca yiYVOjzÉvoisi Xâou; itpoio O’jyaTpe; <
Moipai snsxXdlcavTo, xal dOavavotî ifep ioffot,
IlpOra Ilo'anoctùvi Sapifpuvoit ' aùvàp' fcii-ra
©apsaXéto ÜTiXviï, xal àzaptâ™ ÀyiXiï- '
Tévpavov out’ è-î voîci, Nso-^ToXiftw [ieyaOûjiM,
Tèv xal sis âXéstov ne&iov p-své-tcOev fpeXXov
ZityèçÏ6ra' JvveGt-pot.çiptLV , paxâpuv trei yaîav.
Les fille s d u divin Chaos avaient, lors d e leur naissance, fil é
p o u r e u x cette destinée, bien q u ’ils fu ssen t immortels : lisseraient
d abord domptés p a r Neptune, ensuite p a r l’intrépide Pêlée et
p a r l’infatigable A ch ille , e t énfin p a r le magnanime Néopto-
lème, qu’ils devaient, suivant les desseins de Jupiter, p o r te r dans
LES CHAMPS.éLYSÉES SUR LA TERRE SES BIENHEUREUX 6S.
Ces idée&se ; maintinrent .jusqu’aux derniers moments du paganisme.
Aussi voyons-nous sur un grand nombre de bas-reliefs le mort
à cheval accomplissant le dernier voyage, seul ou suivi d’une nombreuse
escorte; e t quand l’inscription iqui accompagnait le : monument
a résisté au temps, il y est presque toujours désigné par le
titre de iipcçt-
On peut même assurer que plus ces monuments se rapprochent de
nous, plus ils deviennent communs. L’influence du christianisme se
fit sentir de bonne lieure, e t les païens la subirent involontairement.
Avec l’Evangile les idées d’égalité, après.la,mort se propagèrent,
et dès lors l’admission: dans 'le-séjour fortuné ne fut plus le partage
exclusif des héros, ou plutôt les personnages les plus obscurs devinrent
eux-mêmes des héros, e t furent, reçus comme tels dans
les éternelles demeures 5?.
Mais, il faut le reconnaître, ces idées se modifièrent en plusieurs
points. La mort, surtout chez des peuples guerriers, est, la plupart
du temps, prompte, inattendue, e t de,bonne.heure sans doute on
donna à la mort le cheval pour monture et pour attribut. Dans l’Apocalypse
oh tant d’images religieuses des peuples voisins sont venues se
réfléchir; ©ævecToc est monté sur un .clieval pâle et suivi par Hadès :
K«'i eîSov, xa; {Soi wraoç yXùpèî, xal 6 xadifjuvo; énâvco aù-voù, Svojia
aürrip à Qâvaxoç, xal 6 ÂSuç lixoXouGti (itx' airoS68. Sur les monuments
funéraires étrusques, Mantùs. ou Charun est souvent représenté
entraînant un mort qui est ordinairement voilé ertoujours monté
sUr un cheval 69. Des représentations analogues se trouvent sur des
| r à , 755-759. |pj|
affecté il la vie des chevaux d'Achille. D'abord domptés par Neptune, le maître
de l'Océan, ils sortent Ôcs mains de ce dieu pour parcourir une carrièrc brillànté
sur la; terre, et retournent'enfin À' l'Oèéan ddnt ils sonrsortis.
*» Sans doute dans lé cèlte des Mânes et dans les Parcntalia on voit que, dès
mais il u’on est pas moins vrai que' ce fut surtout dans'les derniers siècles du
paganisme qu’on prodigua le nom de Ijpuç; qui devint presque synonyme de
OaviSvj indiqué sur tant de monuments romains par la sigle 6.
“ VI, 8.' : .i :
**. Voyez K. O^Müller, Étrusques, t. H, p. 99, ainsi que'Iè'h lQ de Gori, et
la sério I des Mon. Étr. d'Inghirami.
” Voyez les Antiquités d’Acrée, par le baron Judica, pl. XXVII et XXVIII.
” Inghirami, Scr. VI, tav. B, a.
” C’est aussi l'opinion de M.Grimm, dans sa Mythologie germanique, p.488:
Vietteicht mehr des Tonzs als des Tonrair Pfctd.
" . - ■ I
-vases,de la Grande Grèce?0, sur des marbres grecs et romains?';
d’où l’on peut conclure ,'qUe sur. tous ces monuments le cheval appar-
'-'.tient à la. mort et non pas au.mort7*. '
E t ce qui confirme pleinement, selon moi, cette déduction, c'est
que dans les poésies du moyen;âge ,oii.se. sont conservées tant de
.traditions fabuleuses, et qui sont commeun dernier reflet des croyances
païennes, la mort emporte,souvent; le mort.sur.un cheval 73. Chez
les .Grecs modernes , .Charon, le nocher des enfeys, est devenu Xccpo;
011 Xapov-ra;, messager de la.mort. ll parcourt les.montagnes sur son
cheval,-faisant marcher les jeunes gens devant lui, les vieillards derrière,,
e t emportant, les, tendres petits enfants rangés de file sur sa
selle 7« ; ' ,
SéfVK voùç veoè; an' ignposTa, -roè; yépovvaç. xavéni,
T à vpuçspà n aiio n o uX a ’ç ri)v tsùX a^'aS iao ji.iv a.
M. Grimm ?5 regarde comme le résultat d’une influence toute
païenne les traditions germaniques où;'la mort est représentée emportant,
sur son cheval, ceux qui ont cessé de vivre. On sait que
c’ç stle refrain d’une chanson populaire très-répandue:
Der Mond scheint /tell,
■Die Todten reiten schnell,
•«.Il fait clair de luné; les morts chevauchent vite, » qui a inspiré à
Rürgersa célèbre ballade deLénor, où un amant mprtdanslespaysloin-
tains vient à minuit sur son cheval emporter sa maîtresse; légende
qui,.comme le remarque M..Grimm, se retrouve dans le JVunder-
horn -76, dans les Kindermârchen ??, dans le Svenskavisar ?8, dans
les chants populaires des Grecs modernes 79, e t dans ceux des Scr-
viens80. H e l, le dieu de la mort chez lesanciens.Germains, avait un
cheval, ainsi que son messager, e t c’est à.cheval que lès Walkyrics
remplissaient leur ministère funèbre. Plusieurs expressions proverbiales,
qui se sont maintenues jusqu’à nos jours dans là bouche du
peuple, font allusion à cette croyance. « Quàn la jnor venré graisse no
bote’81,» dit un vieux proverbe bourguignon. — a il a offert un boisseau
d’avoine à la mort,.» dit-on encore aujourd’hui en Danemark,
en parlant d’un individu qui s’est rétabli d’une maladie dangereuse 8>.
Un monument précieux vient ajouter une.nouvelle autorité au
témoignage des textes, et prouve.que chez nos ancêtres, les Gaulois,
le cheval était aussi la monture du dieu de la mort. Je veux parler
d’uné.petitc statue en pierre, d’un travail grossier mais assez vigoureux,
qui a' été trouvée en i y56 dans les’fouilles' faites aux eaux
de L u x e u , en Franche-Comté, et dont Gaylus83 nous a donné une
copie et une description. Cette statue représente un homme dont la
tête courte e t grosse n’est couverte d’aucun ornement ; sa chevelure
est longue et frisée, sa barbe épaisse. Il' est vêtu d’une cotte d’armes
et chaussé de brodequins. Son cheval, à longue queue, est bridé
d’une manière fort simple,’ mais il n’a niiçimrtov,- ni étriers, Le bras
gauche du-cavalier est passé dans les rais d’une roue que Caylus prend
’’ Voyez -Grimm, 1. c. ^ V
’* Fauricl, .Chants populaires de là Grèce moderne, t. H, p. aï8. Nicèlas
Eugcnionns, dans son roman en vers des Amours de Drosilla et de.Gbariclès
plis 170 et suiv.), fait mention de ce Charon, qui, comme on le voit pàrjechant
do Nicctas n'eut pas embarrassé M. Boissonade, s'il eût eu connaissance du
changement de position que Charon avait siibi. ,
^^XOc. cit. '•
” |
’• Ed: 'wh. Müller, 2, 64.
'* Ed. Vuk,;r;“n°.4o4.
.. Quand_ la mort viendra graisser nos bottes. • JJoei borguignon,
p. *49-
*■ Voyez Grimm, op.cit., p. 490.
” Recueil d’antiquités, t. ffl, pl. X OE , fig. IH, p. 367.
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