
LES FRUITS DE SEMIS.
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Recueillir pépins cf. noyaux, leur consacrer une place spéciale, les mettre pré c ieuse ment
en te rre , guetter, surveiller, arroser, d éplanter, replanter, ne rie n p e rd re de Toeil,
appréhender les gelées du printemps et les dessèchements de l’été, f.aire la chasse aux
rongeurs du dessus et aux rongeurs du dessous, re d o u te r sans cesse les maraudeurs,
voleurs de nuit, et les oiseaux, voleurs de jo u r, et to u t cela p e ndant dos années, an
h.asard, à la grâce de Dieu, sans savoir si l ’on fait bien ou mal, — e t l ’on fait plus souvent
mal que bien, — avec déceptions et chagrins en perspective, c ’est oeuvre méritoire, il
faut le dire, et dont peu sont capables; aussi, malgré le nombre imposant de fruils
nouveaux acquis depuis un demi-sièclc, n ’avons-nous en ju s q u ’ici relativement que peu
de semeurs.
La Belgique, sans conteste, a ouvert la marche des semences laborieuses, et le nom
de Van Mons est dc.stiné sans doute à figurer toujours à la tê te des infalig.abics expérimentateurs.
Je voudrais, toutefois, faire ici une réserve. La quantité do bonnes poires
nouvelles acquises p a r Van Mons a fait affirmer à beaucoup do personnes l ’c-xcellence
de son système comparé aux au tre s; je no suis pas e n tiè rem en t de cet avis, el, avant
de me prononcer, je voudrais savoir su r quelle q uantité de semis Van Mons a obtenu ses
bons gains, et si, chez lui, la proportion des bons fruils avec les mauvais est supérieure
â celle qu’on a pu observer dans les semis des autres. Ju sq u ’à p ré sent, c ’est vrai, c ’est
encore Van Mons qui nous a enrichis du plus grand nom b re de fruits précieux, mais il
ne faudrait pas oublier non pins que déjà, on 1819, il avait récolté 2588 poires nouvelles,
et qu’il a continué ensuite. Avant donc de se p rononc e r sur l ’excellence de sa méthode,
dans laquelle, je l ’avoue humblement, bien dos choses paraissent éminemment obscures
à ma faible intelligence, il faudra c h erch e r, je le répète, à quels chiffres proportionnels
ont abouti les méthodes différentes.
Je ne veux pas discuter ici, du re ste, les différents systèmes de semis et de direction
des jeunes sujets obtenus, pas plus le modo habituel qui demande de douze à vingt ans
d ’a tte n te , que divers antres, parmi lesquels se dessine celui de M. Grégoire, qui réduit
de moitié les épreuves de la patience'; j ’aurai sans doute l ’occasion d ’y revenir plus ta rd ,
puisque l’honorable d ire c teu r du Verger veut bien me demander pour I’,avenir mOn modeste
concours.
La Belgique n’a certes pas à offrir que Van Mons comme semeur p a tien t et infatigable;
c ’est chez elle que s ’était donné l ’élan, elle ne pouvait pas le laisser sc ra le n tir, cl
d Hardenpont, Bcrckmans, Espércii, Bouvier, Bivort, Grégoire et bien d ’au tre s, chacun
à sa manière, ont continué l’oeuvro du maître. L’Allemagne, l’Angleterre, l ’Amérique
ont suivi l ’exemple et vu ap p araître des variétés nouvelles. lentes ju sq u ’à ce jour à s ’introduire
parmi nous, mais dont quelques publications sérieuses, et p a rlicu liè rem e n t le
Verger, divulguent depuis quelques années toute la valeur. Nous connaissons tous en
France les efforts, couronnés de succès, des Poiteau, des Sageret, des Goubault, et ceux
plus récents de divers antres qui se sont révélés dans ces derniers temps et parmi lesquels
M, Boisbunel a eu la mam h eu reu se ; de sorte q u ’en ce moment, ici comme chez nos
voisins, comme chez nos.oollègues d ’outre-mer, des milliers, — je n ’exagère p a s ,— des
milliers de jeunes a rbres s ’élèvent pour pré s en te r à leur tour leurs produits à nos dégustations.
One de bonnes choses peut-être dans le nombre! mais aussi que de déceptions
et de soins perdus ! et q u ’il a do mérite le rare semeur qui, reconnaissant franchement
que ses gains de l ’année o n t trompé ses désirs, rep o rte vaillamment ses espérances à
l ’année suivante el ne s ’entête pas quand même à présenter à l ’admiration du public un
fétu qui ne demande q u ’à ne pas vivre !
C est que les semeurs sont pères, et que leu r attachement s’accroît en raison de la
longueur de l ’attente. Aussi, une fois l ’enfant au monde, quels soins ! quelle joie ! p a r fois
quel enthousiasme ! Le nouveau-né est bien un peu grêle, mais c ’est si jeune ! et
puis on le confiera à une bonne n o u rrice , et la grelfe donnera sous peu un fort gaillard.
— La chair est un peu flasque, c ’est vrai, mais qui est-ce qui, to u t pe tit, n ’a pas eu la
chair flasque? — Le grain est presque gros, le centre légèrement granuleux, la peau un
peu épaisse ; eb ! mon Dieu ! personne n ’est parfait dans la jeunesse ! — Le goût n ’est
p e u t-ê tre pas bien relevé, un détail! vous verrez dans deux ans, dans tro is ans, quel
gain magnifique ! Ajoutez à cela la complaisante indulgence des amis, la précipitation
anxieuse du pépiniériste, la course au clocher des premiers descripteurs, la réserve
bienveillante de la Société d ’h o rticu ltu re voisine, et voilà encore uu malheureux de plus
dans le monde, bien plus q u ’un malheureux, un trom peur!
Heureusement, là, tout près, sont les vrais intéressés, les acheteurs et les consommateurs
; ceux-là, les peines, les soucis, les quinze années d’a tte n te , tes trouvent insensibles ;
ils dégustent, c’est bon ou c ’e st mauvais, cela se garde ou cela se re je tte . C’est alors
aussi que commence le rôle des dégustateurs patients et sérieux, des Sociétés d ’hor-
tieulture studieuses, des commissions pomologiques prudentes et sincères, parmi lesquelles
je c ite ra is bien volontiers celle de notre Société centrale, qui le m é rite ra it bien,
si je ne devais, en l ’encensant, m’envoyer aussi, à moi quinzième, un peu d ’enoens à la
figure. C’est que dans les jugements portés sur les fruits de semis il y a p lusieurs éoueils :
la sévérité, l ’indulgence et aussi la précipilatioii. En pomologie, comme en to u t,'la sévérité
p eu t souvent devenir in ju s tic e; ta n t de causes peuvent p o rte r préjudice à une
excellente acquisition ; terrain, climat, cu ltu re , année froide, année pluvieuse ! Tout le
monde sait cela ; tel fruit mauvais au jo u rd ’hui peut être bon l ’an prochain ; tel au tre p a rfait
l ’an de rnie r n ’a plus rien pour lui c ette fois ; peu de fruits, d ’ailleurs, sont réellement
mauvais p a rtout, — il y en a cependant, — il faut savoir attendre. D’autre part, l’in d u lgence
n ’est pas sans inconvénients ; vous ne déclarez pas, par excès de prudence, que les
gains sont insigniliants ; bien ! voilà que les pépiniéristes se les procurent, et, comme n
n’est jamais agréable de p e rd re so n 'a rg en t, ils les répandent. L’amateur a ch è te ; le voisin,
toujours emprunteur, sollicite des greffes; to u t cela pousse, puis, après plusieurs
années, la vérité se fait jour, on recule avant de se d ébarrasser d ’a rbres formés, on s ’est
trompé p eut-être, on espère encore ju sq u ’au d e rn ie r moment, e t p en d an t to u t ce
temps-là, lès bous fruits sont restés à la p o rte parce que les mauvais p ren a ien t to u te la
place, to u t comme dans les vergers.
Après cela, il faut bien lo dire, n on-seulem ent to u t le monde n ’a pas les mêmes
goûts, mais tous n ’ont pas non plus les mêmes facultés d ’a p p ré c ia tio n ; les bonnes
choses ren d e n t difficile, et sans re ch erch e r si les différences que nous trouvons dans
les appréciations du goût de certains fruits anciens ne p roviennent pas de ce que notre
palais est devenu plus délicat que celui de nos g ran d s-p è re s, il est c erta in que nous
avons trouvé souvent fort médiocres les mêmes fruits que quelques-uns de nos collègues,
de pays moins iàvorisés, n’é ta ien t pas loin de dé clarer de p rem ie r o rd re. En outre, l’un
aime le cassant, l’autre le fondant ; celui-ci l’acidulé, celui-là le sucre ; quelqu un que
je connais fort aime les fruits musqués, beaucoup d ’autres ne peuvent pas les souffrir;
sources nombreuses de divergences dans les appréciations. Bien d ’autres causes encore !
On vient de déguster un fruit bien sucré et bien parfumé, malheur à celui qui va suivre !
Au contraire, succédant à un mauvais, un autre gagne à se p ro d u ire ; et puis encore on
déguste coup sur coup et le palais se blase, ou bien on vient de fumer, on n ’y pren d pas
garde et cela change le goût d ’une singulière façon; une quantité de raisons, en somme,
qui recommandent la prudence.
Enfin l’expérimentation est faite, et bien faite, le gain est reconnu méritant, c ’est le
moment du baptême. Encore une affaire, c ela! Le choix d ’un nom n ’est pas toujours
au ssiin d iffé ren tq u ’o n p o u r r a itle o r o ir e à l’a v e n ird ’u n fru it; certaines dénominations sont
souvent plus sympathiques que le goût du fru it lui-même; certains fruits, en revanche)
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