On appelle en termes de charte, bêtes de compagnie,
les fàngliers qui n’ont pas pafle-trois ans, parce que
jufqu a cetâge ils ne fe fc parent pas les uns des autres, &
qu ils fuivent tous leur mère commune ; ils ne vont feuls
que quand ils font aiïez forts pour ne plus craindre les
loups. Ges animaux forment donc d’eux-mêmes des ef-
peces de troupes, & c ’elt de-là que dépend leur fureté :
lorfqu’ilsfont attaqués, ilsréfiftentpar le nombre, ils fe
fecourent, fe défendent ; les plus gros font face en fe
preflant en rond les uns contre les autres , & en mettant
les plus petits au centre. Les cochons domertiques
fe défendent aufli de la même manière, & l’on n’a pas
hefoin de chiens pour les garder : mais comme ils font
indociles & durs, un homme agile & robufte n’en peut
guère conduire que cinquante.-En automne & en hiver,
on les mène dans les forêts où les fruits fàuvages font
abondans; l ’eté, on les conduit dans les lieux humides
& marécageux, où ils trouvent des vers & des racines
en quantité ; & au printemps, on les Jairtfe aller dans
les champs & fur les terres en friche : on les fait fortir
deux fois par jour, depuis le mois de mars jufqu’au m fis
d’oélobre ; on les Jaiffe paître depuis le matin , après
que la rofée eft dirtîpée, jufqu’à dix heures, & depuis
deux heures après midi jufqu’au foir. En hiver , on ne
les mène qu’une fois par jour dans les beaux temps : la
rofée , la neige & la pluie leur font contraires. Lorfqu’il
furvient un orage ou feulemeùt une pluie fort abondante,
il eft allez ordinaire de les voir deferter le troupeau
les uns après les autres , & s’enfuir en courant &
toujours criant jufqu’à la porte de leur étable : les plus
jeunes font ceux qui crient le plus, & le plus haut ; ce
cri eft différent de leur grognement ordinaire , c’eft un
cri de douleur femblable aux premiers cris qu’ils jettent
' lorfqu’on les garotte pour les égorger. Le mâle crie
moins que la femelle. 11 eft rare d’entendre le fànglier
jeter un c ri, fi ce n’eft lorfqu’il fe bat & qu’un autre
le bleffe ; la laie crie plus fouvent : & quand ils font
fîirpris & effrayés fubitement, ils foufHent avec tant de
violence, qu’on les entend à une grande diftance.
Quoique ces animaux foient fort gourmands, ils n’attaquent
ni ne dévorent pas, comme les loups, les
autres animaux ; cependant ils mangent quelquefois de
la chair corrompue : on a vu des fangliers manger de la
chair de cheval, & nous avons trouvé dans leur eftomac
de la peau de chevreuil & des pattes d’oifeaux ; mais c’eft:
peut-être pluftôt néceffité qu’inftinét. Cependant on ne
peut nier qu’ils ne foient avides de fàng & de chair
fanguinolente & fraîche, puifque les cochons mangent
leurs petits, & même des enfans au berceau :dès qu’ils
trouvent quelque chofe de fucculent, d’humide, de
gras ou d’onéîueux, ils le lèchent & Unifient bien-tôt
par l ’avaler. J ’ai vît plufieurs fois un troupeau entier de
ces animaux s’arrêter, à leur retour des champs , autour
d’un monceau de terre glaife nouvellement tirée ; tous
lèchoient cette terre, qui n’étoit que très-légèrement
onétucufe, & quelques-uns en avaloient une afiëz grande