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à notre objet ; puifqu’il ne nous eft pas poflible, faute
de faits, d’établir des rapports, & de fonder nos raifon-
nemens, nous ne pouvons pas mieux faire que d’aller
pas à pas, de confidérer chaque animal individuellement,
de regarder comme des efpèces différentes toutes celles
qui ne fe mêlent pas fous nos yeux, & d’écrire leur hiffoire
par articles féparés, en nous réfervant de les joindre ou
de les fondre enfemble, dès que, par notre propre
expérience, ou par celle des autres, nous ferons plus
inftruits.
C'eft par cette raifon que, quoiqu’il y ait plufieurs
animaux qui reffemblent à la brebis & à la chèvre, nous
ne parlons ici que de la chèvre & de la brebis domef-
tiques. Nous ignorons fi les efpèces étrangères pour-
roient produire & former de nouvelles races avec ces
efpèces communes. Nous fommes donc fondés à les
regarder comme des efpèces différentes, jufqu’à ce qu’il
foit prouvé par le fait, que les individus de chacune de
ces efpèces étrangères peuvent fe mêler avec l’efpèce
commune, & produire d’autres individus qui produiraient
entr’eux, ce caraéfère feul conftituant la réalité
& l ’unité de ce que l’on doit appeler efpèce, tant dans
les animaux que dans les végétaux,
La chèvre a de fil nature plus de fentiment & de
reffource que la brebis ; elle vient à l’homme volontiers,
elle fe familiarife aifément, elle eft fenfible aux careffes
& capable d’attachement; elle eft auffi plus forte, plus
légère, plus agile & moins timide que la brebis ; elle eft
vive,
DE LA CHEVRE. 65
vive, capricieufe, lafcive & vagabonde. Ce n’eft qu’avec
peine qu’on la conduit, & qu’on peut la réduire en
troupeau : elle aime à s'écarter dans les foliludes, à
grimper fur les lieux efcarpés, à fe placer, & même à
dormir, fur la pointe des rochers & fur le bord des
précipices ; elle cherche le mâle avec empreflement ;
elle s’accouple avec ardeur, & produit de très-bonne
heure ; elle eft robufte, aifée à nourrir; prefque toutes
les herbes lui font bonnes, & il y en a peu qui l’incommodent.
Le tempérament, qui dans tous les animaux
influe beaucoup fur le naturel, ne paraît cependant pas
dans la chèvre différer eflentieilement de celui de la
brebis. Ces deux efpèces d’animaux, dont l’organifation
intérieure eft prefque entièrement femblable, fe nour-
riflent, croiffent& multiplient de la même manière, & fe
reffemblent encore par le caraéfère des maladies, qui font
les memes, a 1 exception de quelques-unes auxquelles
la chèvre n’eft pas fujette ; elle ne craint pas, comme la
brebis, la trop grande chaleur; elle dort au foleil, & s’expose
volontiers à fes rayons les plus vifs , fans en être
incommodée, & fans que cette ardeur lui caufe ni étour-
diflemens, ni vertiges; elle ne s’effraie point des orages,
ne s impatiente pas à la pluie, mais elle paraît être fenfible
a la rigueur du froid. Les mouvemens extérieurs, lefqucls,
comme nous lavons dit, dépendent beaucoup moins
de la conformation du corps, que de la force & de la
variété des fenfàtions relatives à l’appétit & au defir, font
par cette raifon beaucoup moins mefiirés, beaucoup plus
Tome V. I