une gourmandife brutale, qui lui fait dévorer indiflinc-
tement tout ce qui fe préfente, & même fa progéniture
au moment qu’elle vient de naître. Sa voracité dépend
apparemment du hefoin continuel qu’il a de remplir la
grande capacité de fou eftomac ; 6c la groffièreté de
fes appétits , de l’hébétation du fens du goût & du
toucher. La rudeffe du poil, la dureté de la peau,
l ’épaiffcur de la graille, rendent ces animaux peu fenfibles
aux coups : l’on a vu des fouris fe loger fur leur dos,
& leur manger le lard 6c la peau fans qu’ils paruffent le
fentir. Ils ont donc le toucher fort obtus , 6c le goût
auffi greffier que le toucher : leurs autres fens font
bons ; les chafïèurs n’ignorent pas que les fàngliers
voient, entendent 6c fentent de fort loin, puifqu’iJs font
obligés, pour les furprendre, de les attendre en filence
pendant la nuit , 6c de fe placer au delfous du vent,
pour dérober à leur odorat les émanations qui les
frappent de loin, 6c toujours allez vivement pour leur
faire fur le champ rebroulfer chemin.
Cette imperfection dans les fens du goût & du
toucher, efl encore augmentée par une maladie qui les
rend ladres, c’efl-à-dire,prefque abfolument infenfibles,
6c de laquelle il faut peut-être moins chercher la première
origine dans la texture de la chair ou de la peau
de cet animal, que dans fà mal-propreté naturelle,
êc dans la corruption qui doit réfulter des nourritures
infectes dont il fe remplit quelquefois ; car le fànglier,
qui n’a point de pareilles ordures à dévorer, 6c qui vit
ordinairement
ordinairement de grain, de fruits, de gland & de racines,
n efl point fujet a cette maladie, non plus que le jeune
cochon pendant qu il tette : on ne la prévient même
qu en tenant le cochon domeflique dans une étable
propre , 6c en lui donnant abondamment des nourritures
faines. Sa chair deviendra même excellente au goû t, 6c
le lard ferme 6c cafïànt, f i, comme je l’ai vû pratiquer, on
le tientpendant quinze jours ou trois femaines, avant de
le tuer, dans une étable pavée 6c toûjours propre, fans
litière , en ne lui donnant alors pour toute nourriture que
du grain de froment pur 6c fe c , 6c ne le laifiant boire
que très-peu. On choifit pour cela un jeune cochon
d un an , en bonne chair 6c à moitié gras.
La manière ordinaire de les engraiffer, efl de leuf
donner abondamment de l ’orge , du gland, des choux,
des légumes cuits 6c beaucoup d’eau mêlée de fon : en
deux mois ils font gras, le lard efl abondant 6c épais,
mais fans être bien ferme ni bien blanc ; 6c la chair,
quoique bonne , efl toûjours un peu fade. On peut
encore les engraiffer avec moins de dépenfe dans les
campagnes ou il y a beaucoup de glands , en les menant
dans les forêts pendant l’automne, lorfque les glands
tombent, 6c que la châtaigne 6c la faine quittent leurs
enveloppes : ils mangent également de tous les fruits
fàuvages, 6c ils engraiffent en peu de temps , fur-tout fi
le foir, à leur retour, on leur donne d e l’eau tiède mêlée
d un peu de fon 6cde farine d’ivroie; cette boiffon les fait
dormir 6c augmente tellement leur embonpoint, qu’on
Tome V. P