1 8 8 H i s t o 'i r e Na t u r e l l e
fe rendre maître de l’Univers vivant, il a fallu commencer
par fe faire un parti parmi les animaux, fe concilier avec
douceur & par careffes ceux qui fe font trouvés capables
de s’attacher & d’obéir, afin de les oppofer aux
autres : le premier art de l ’homme a donc été l’éducation
du chien , & le fruit de cet art la conquête & la
poffefïïon paifible de la Terre.
La plufpart des animaux ont plus d’agilité, plus de
vîteffe, plus de force , & même plus de courage que
l ’homme ; la Nature les a mieux munis, mieux armés; ils
ont auffi les fens, & fur-tout l’odorat, plus parfaits. Avoir
gagné une efpèce courageufe & docile comme celle du
chien, c ’eft avoir acquis de nouveaux fens & les facultés
qui nous manquent. Les machines, les inftrumens que
nous avons imaginés pour perfectionner nos autres fens,
pour en augmenter l’étendue, n’approchent pas, même
pour l ’utilité, de ces machines toutes faites que la Nature
nous présente, & qui en fuppléant à l’imperfeétion de
notre odorat, nous ont fourni de grands & d’éternels
moyens de vaincre & de régner : & le chien fidèle à
l’homme, confervera toujours une portion de l ’empire,
un degré de fupériorité fur les autres animaux ; il leur
commande, il règne lui-même à la tête d’un troupeau,
il s’y fait mieux entendre que la voix du berger'; la
fureté, l’ordre & la difcipline font les fruits de fa vigilance
& de fon aétivité ; c ’eft un peuple qui lui eft
fournis , qu’il conduit, qu’il protège, & contre lequel il
n’emploie jamais la force que pour y maintenir la paix.
D u C h i e n . 189
Mais c ’eft fur-tout à la guerre, c’eft contre les animaux
ennemis ou indépendans, qu’éclate fon courage, & que
fon intelligence fe déploie toute entière : les talens
naturels fe réunifient ici aux qualités acquifes. Dès que
le bruit des armes fe fait entendre, dès que le fon du
cor ou la voix du chaffeur a donné le fignal d’une
guerre prochaine, brillant d’une ardeur nouvelle le chien
marque fa joie par les plus vifs tranfports, il annonce
par fes mouvemens & par fes cris 1 impatience de
combattre & le defir de vaincre ; marchant enfuite en
filence, il cherche à reconnoître le pays, à découvrir, à
furprendre l’ennemi dans fon fort ; il recherche fes
traces, il les fliit pas a pas , & par des accens differens
indique le temps, la diftance, l ’efpèce, & même l ’âge
de celui qu’il pourfuit.
Intimidé, prelfé , defefpérant de trouver fon falut
dans la fuite, l’animal (a J fe fert auffi de toutes fes
facultés, il oppofe la rufe à la fagacité ; jamais les
reflources de l’inftinCt ne furent plus admirables : pour
faire perdre fa trace, il v a , vient & revient fur fes pas ;
il fait des bonds , il voudrait fe détacher de la terre &
fupprimer les efpaces ; il franchit d’un faut les routes ,
les haies, paffe à la nage les ruiffeaux, les rivières ; mais
toujours pourfuiyi, & ne pouvant anéantir fon corps , il
cherche à en mettre un autre à fa place ; il va lui-même
troubler le repos d’un voifin plus jeune & moins expérimenté,
le faire lever, marcher, fuir avec lui; & lorfqu’ils
(a) Voyez l’hiftoire <Iu cerf, yol VI de cette Hijloire Naturelle.
A a iij