les herbes groffièr.es, les arbriffeaux chargés d'épines; ils
font moins affeétés de l’intempérie du climat, ils peuvent
mieux fe paffer du fecours de l ’homme : moins ils
nous appartiennent, plus ils femblent appartenir à la
Nature ; & au lieu d’imaginer que ces efpèces fubal-
ternes n’ont été produites que par la dégénération des
efpèces premières, au lieu de regarder l’âne comme
un cheval dégénéré, il y auroit plus de raifon de dire,
que le cheval eft un âne perfectionné, que la brebis
n’eft qu’une efpèce de chèvre plus délicate que nous
avons foignée, perfectionnée, propagée pour notre
utilité, & qu’en général les efpèces les plus parfaites,
fur-tout dans les animaux domeftiques, tirent leur origine
de l ’efpèce moins parfaite des animaux fauvages
qui en approchent le plus, la Nature feule ne pouvant
faire autant que la Nature & l’homme réunis.
Quoi qu’il en foit, la chèvre eft une efpèce diftinéte,
& peut-être encore plus éloignée de celle de la brebis,
que l’efpèce de l ’âne ne l’eft de celle du cheval. Le
bouc s’accouple volontiers avec la brebis, comme l’âne
avec la jument, & le bélier fe joint avec la chèvre, comme
le cheval avec l’ânelTe ; mais quoique ces accouplemens
foient alfez fréquens, & quelquefois prolifiques, il ne
s’eft point formé d’efpèce intermédiaire entre la chèvre
& la brebis, ces deux elpèces font diftinétes, demeurent
conftamment féparées & toujours à la même diftance
l ’une de l ’autre; elles n ’ont donc point été altérées
par ces mélanges, elles n’ont point fait de nouvelles
louches, de nouvelles races d’animaux mitoyens, elles
n’ont produit que des différences individuelles, qui
n’influent pas fur l ’unité de chacune des efpèces primitives,
& qui confirment au contraire la réalité de leur
différence caractériftique.
Mais il y a bieh des cas où nous ne pouvons ni
diflinguer ces caraéfères, ni prononcer fur leurs différences
avec autant de certitude; il y en a beaucoup
d’autres où nous fommes obligés de fufpendre notre
jugement, & encore une infinité d ’autres fur lefquels
nous n’avons aucune lumière ; car indépendamment de
l ’incertitude où nous jette la contrariété des témoignages
fur les faits qui nous ont été tranfmis, indépendamment
du doute qui réfuite du peu d’exaélitude de ceux qui ont
obfervé la Nature, le plus grand obfiacie qu’il y ait à
l ’avancement de nos connoiffances, eft l'ignorance pref-
que forcée dans laquelle nous fommes d’un très-grand
nombre d’effets que le temps feul n’a pù préfenter à
nos yeux, & qui ne fe dévoileront même à ceux de la
poftérité que par des expériences & des obfervations
combinées : en attendant, nous errons dans Jes ténèbres,
ou nous marchons avec perplexité entre des préjugés
& des probabilités, ignorant même jufqu’à la poffibiJité
des chofes, & confondant à tout moment les opinions
des hommes avec les aétes de la Nature. Les exemples
fe préfentent en foule; mais fans en prendre ailleurs
que dans notre fujet, nous lavons que le bouc & la
brebis s’accouplent & produifent enfemble, mais