4 H i s t o ir e Na tur e l l e
fi l ’on fait attention à la foiblefle & à la ftupidité de
la brebis; fi l ’on confidère en meme temps que cet
animal fans défenfe ne peut même trouver fon falut
dans la fuite; qu’il a pour ennemis tous les animaux
carnaciers, qui femblent le chercher de préférence &
le dévorer par goût; que d’ailleurs cette elpèce produit
peu, que chaque individu ne vit que peu de temps, &c.
on feroit tenté d’imaginer que dès les commencemens
la brebis a été confiée à la garde de l ’homme, qu’elle
a eu befoin de fa proteétion pour fubfifter, & de fes
foins pour fe multiplier, puifqu’en effet on ne trouve
point de brebis fauvages dans les déferts; que dans
tous les lieux où l’homme ne commande pas, le lion,
le tigre, le loup régnent par la force <k par la cruauté ;
que ces animaux de fang & de carnage vivent plus
long-temps & multiplient tous beaucoup plus que la
brebis; & qu’enfin, fi l’on abandonnoit encore aujourd
’hui dans nos campagnes les troupeaux nombreux de
cette efpèce que nous avons tant multipliée, ils feroient
bien-tôt détruits fous nos yeux, & l ’efpèce entière
anéantie par le nombre & la voracité des elpeces
ennemies.
Il paroît donc que ce n’eft que par notre fecours &
par nos foins que cette efpèce a duré, dure, & pourra
durer encore: il paroît qu’elle ne fubfifteroit pas par
elle-même. La brebis eft abfoiument fans reffource &
fans défenfe; le bélier n’a que de foibles armes, fon
courage n’eft qu’une pétulance inutile pour lui-même,
incommode pour les autres, & qu’on détruit par la
caftration : les moutons font encore plus timides que
les brebis; c’eft par crainte qu’ils fe ralfemblent fi
fouvent en troupeaux, le moindre bruit extraordinaire
fuffit pour qu’ils fe précipitent & fie ferrent les uns
contre les autres, & cette crainte eft accompagnée de
la 'plus grande ftupidité ; car ils ne lavent pas fuir le
danger, ils femblent même ne pas fentir l’incommodité
de leur fituation; ils relient où ils fe trouvent, à la
pluie, à la neige, ils y demeurent opiniâtrément, & pour
les obliger à changer de lieu & à prendre une route,
il leur faut un chef, qu’on inftruit à marcher le premier,
& dont ils fuivent tous les mouvemens pas à pas : ce
chef demeurerait lui-mêm'e avec le relie du troupeau ,
làns mouvement, dans la même place, s’il n’étoit
chalfé par le berger ou excité par le chien commis à
leur garde, lequel fait en effet veiller à leur fureté, les
défendre, les diriger, les feparer, les ralfembler & leur
communiquer les mouvemens qui leur manquent.
Ce font donc de tous les animaux quadrupèdes les
plus ftupides, ce font ceux qui ont le moins de relfource
& d’inllinél : les chèvres, qui leur relfemblent à tant
d’autres égards, ont beaucoup plus de lèntiment; elles
favent fe conduire, elles évitent les dangers, elles fe
fiimiliarifent aifément avec les nouveaux objets, au lieu
que la brebis ne lait ni fuir, ni s’approcher ; quelque
befoin qu’elle ait de fecours, elle ne vient point à
l ’homme aulfi volontiers que la chèvre, & , ce qui dans
A iij