
tâchent de s’en approcher, pour la harponner
de nouveau ou pour la tuer à coups de lances :
ce moment eft. toujours le plus dangereux. La
chaloupe qui a lancé le harpon s’en trouve à
la vérité fort éloignée £ mais les autres, qui
viennent la frapper de leurs lances, font
prefque fur fon dos, & ne peuvent éviter d’en
recevoir de très-rudes atteintes. Cet animal,
irrité par fes bleffures, peut d’un feul coup
renverfer ou brifer une chaloupe. Lorfqu’on
s’aperçoit que la Baleine a perdu toutes fes
forces , les pêcheurs fe réunilïent pour la
conduire au vaiffeau ; car quand elle meurt
fans revenir fur l’eau , 8c qu’elle va au fond
avant d’être amarrée à côté du bâtiment, on
eft obligé de couper les cordes , pour empêcher
qu’elles n’entraînent les chaloupes $ 8c
l ’on perd fans retour la Baleine 8c tout ce qui
y eft attaché. Mais quand on eft parvenu à
la fufpendre par des cordes , on lui coupe la
queue, 8c on l’attache à l’arrière d’une chaloupe
qu’on amarre de même à la queue :de
quatre ou cinq autres. Alors on pouffe des.
cris de jo ie , 8c on la conduit au vaiffeau
dans cet ordre. Ën y arrivant, la Baleine y
eft attachée avec des cordes ou des chaînes ,
la tête vers la poupe, 8c Pendroit où l’on a
coupé la queue, vers la proue , enfuite deux
chaloupes fe placent de l’autre côté de l’animal.
Les dépeceurs fe mettent fur la Baleine^
vêtus d’habits de cuir , avec des bottes qui
ont des crampons de fer aux femelles T pour
mordre fur la peau gliffante de l’animal. De
plus, ÎIs tiennent au vaiffeau par une corde
qui les lie par le milieu du corps. « Dans
» cet état, ils commencent à couper, à la tête
» & en travers,, tme bande de lard, qu?ils
» détachent feulement de la chair fans ia
» couper ou féparer du tout, dit M. le Che-
» vaîier de Pagés (»)., 8c l’on y amarre une
» cafiorne à garant de neuf torons : cette
» bande fert à tenir le corps un peu au deflîis
» de l’eau , 8c en la détachant de la chair 8c
» l’élevant, elle le fait tourner à proportion
y> que l’on a pris le lard de la furface 8c
» que l’on veut en découvrir une nouvelle
x> partie. L ’on divife en bandes toute la
» longueur du corps ; l’on coupe le lard
» par coins de quatse ou cinq pieds, 8c on
( i) Voy. vers U pôle du Nord, p. 184. M. le Chevalier
de Pagés a vu faite le dépècement dont il donne ici
les détail
» les embarque avec le cabefïan.- D’autres
» gens divifent çes grands coins en parties
» d’environ un pied 8c demi en caiJr é , 8c les
» jettent dans l’entre-pont où on les met.en
» grenier. L ’on embarque entière la gencive
» qui contient les fanons , & on la divife fur
» le pont avec des coins qui- la rompent
» aifément.
»' L ’on prend enfuite ces coins dé1 lard-
» emmagafinés dans l’entre-pont, on en coupe
» la couenne 8c les filamens qui. les tenoient
» attachés à la chair; on les coupe en mor-
» ceaux. de quatre ou cinq pouces de long „
» fur deux ou quatre de largeur ou d’ëpaif-
» feur. Un long baquet pofé devant la table
» où on les coup e , fert à les recevoir, & on*
» les pouffe avec des pelles, dans l’entonnoir
»' d’une manche qui. donne dans les- bari-
» ques : la graiffe , un peu fondue par le
» maniement , fait qu’ils sry arriment aifé-
» ment. Uon met dans des bariques féparées
»■ le lard charnu: ou: filamenteux que l’on ai
» léparé des coins de lard f i n 8c l’on jette’
i » les couennes à la mer ». Enfuite on faie
fondre la graiffe fur le vaiffeau , ou on la;
garde jnfqu’àu retour de la pêche, pour, la
fake fondre- Les Hollandois font dans cet
ufage : de là vient queleur huile eft toujours
infede 8c de mauvaife qualité.
Telle eft la manière dont les peuples civi-
lifes de l’Europe font la pêche de la Baleine-
Les Nations qui habitent les côtes des mers
glaciales ont des méthodes bien différentes-
Loifque la faifon du printemps, favorable à
cette pêche, eft arrivée * les Olioutères (1)?
commencent à fortir leurs filets, 8c c’ëft alors
la plus grande de leurs fêtes : elle fe célèbre-
dans la Iourte (2), avec plufieurs pratiques
8c cérémonies fuperftitieufes. On tue des
chiens en frappant fur des efpèces de tambours
; 8c on remplit un grand vaiffeau
de Tolkoucha, qu’on place devant l’buver-
ture pratiquée dans le côté de la Iourte. Les
Prêtres portent folennellement une Baleine
de bois du Balagane (3) dans la Iourte. Le s
hommes 8c les femmes crient tous enfemble >
la Baleine s7efl enfuie dajls la mer 1 8c iis
Çi) Peuples qui Habitent fur la grande rivière SOlioUf
terra.
(2) Habitation fbuterraine dos Karatehadals pendant
l’Hiver.
($) Maifon d’étév.
montrent les traces de la Baleine fur le' Tolkoucha
, comme fi effëâivement elle étoit
fortie par l’iffue de la Iourte. Après cette
cérémonie préliminaire, les hommes prennent
leurs filets & montent dans leurs canots.
Ils vont les tendre dans les embouchures de
quelque b a ie, & mettent àun bout des pierres
tî ès-groffes, tandis que l’autre extrémité fuit les
ondulations des flots. Les Baleines, en pour-
fuivant les poilfons , ne manquent pas de
s’y prendre : auflï-tôt les pêcheurs s’approchent
avec leurs canots & entortillent l’animal
avec d’autres courroies ; tandis que leurs
femmes & leurs enfàns qui font reliés fur le
rivage, font éclater leur joie par des daiifes
& des cris d’alégrelfe, félicitant les pêcheurs
d’une aulfi bonne capture (i> Mais avant
que de tirer la Baleine à terre, & après qu’ils
ont bien attaché les courroies fur le rivage ,
ils mettent leurs plus beaux habits. Ils tranf-
portent la Baleine de b o is , de [’Iourte dans
tin .nouveau Balagane ; ils y allument .une
lampe, & y laiflent exprès un hpmrne qui a
foin d’entretenir le feu, depuis le printemps
jufqu’à l’automne : enfin , ils coupent pa
morceaux la Baleine qu’ils ont prife ; elle
leur fournit pendant long-temps un mets
délicieux.
Les Kouriles des environs d’Awatcha &
des îles de ce nom, montent fur des canots
au commencement de l’automne, faifon où
les Baleines abondent fur ces côtes , & vont
les chercher dans les endroits où elles ont
coutume de dormir & de fe repofer. Quand
ils en trouvent quelqu’une, ils s’approchent
fans bruit & les percent avec des dards em-
poifonirés. Quoique cette blefîùre paroiffe
d’abord légère dans un animal aufiî énorme;
cependant elle ne tarde pas à lui caufer des
douleurs infupportables : il s’agite & pouffe
des mugîflemens horribles;; enfin il s’enfîe
extraordinairement , & meurt peu de 'temps
après.
Les habitans de Groenland qui fupputent
parles lunes, calculent furie cours de cette
planète le retour dès, Baleines & des antres
poilfons fur leurs côtes. Lorfque cette faifon
eftarrivée, ils mettentleurgrandeyacÿnette(2),
; (1) Voy. en Sibérie, par M. Krachenininko'v , ProfieiT.
ie l ’Acad. des Scienc. de Pétersbourg, vol. 3 , p. 45 1?.
I M La jacquetie eft une efpèce d’habit d’une feule
piece , qui enveloppe tout le corps ; elle eft fake de
attachent à leur côté un grand couteau & une
pierre à aiguifer : ils fe munilfent au [fi de
grands harpons , de flèches , de lances ,
des plus grandes peaux de chien de mer enflées
, & fe mettent dans leurs grands canots
avec leurs femmes & leurs enfans. Les harpons
dont ils fe fervent font garnis d’une
pointe d’os crochue ou d’une pierre pointue.
Quelques-uns emploient des harpons de fer .
qu’ils achètent des Danois pour de l’huile ow
de la graiffe. Comme ces pauvre? gens ont
peu de bois & de fier, ils ont la précaution
d’attacher au milieu de chaque harpon qu’ils
jettent, une veiïïe de chien de mer,, pleine
d’àir, afin que fi le harpon n’afteint pas la
Baleine ou qu’il s’en détache, il puiffe flotter
fur l’eau & ne foi-t pas perdu ( 1 ) . A vec c e
petit équipage, ces hommes adroits & intrépides
vont attaquer les plus fortes Baleines.
« Ils les entourent avec leurs petits canots (2)
» & les approchent avec une hardieue éton-
» nante, pour tâcher de leur accrocher quel-
» ques peaux enflées, par le moyen des har-
» pons- qu’ils lancent dans le corps : car ,
» quelque énorme que foit cet animal, il
>/ fuffit dé" lui appliquer deux ou trois de ces
» peaux , q u i, par leur légèreté & la réfillance
» qu’elles font à l’eau , l’empêchent de fe
» plonger. Quand ils font parvenus à arrêter,
» pour ainfi dire , la Baleine ,.ils s’approchent
v avec leurs lances & la percent de coups,
... » jufqtt’à ce qu’elle meure & perde fon fang.
». Ils fe jettent alors dans la mer avec leurs
w jacquettes remplies d’air & nagent au poif-
» fon , où ils reûent couchés à p lat,. & flot-
' » tant fur l’eau en le dépouillant avec leurs
» couteaux, de tous côtés , de fa graiffe qu’ils
»jettent dans leurs grands canots,, à mefure
» qu’ils la coupent. Ils ont auffi l’adrelfê,
plufieurs peaux de chien de mer bien coufues- enfemble &
remplies d’air. Son ufage coniîfte a rendre le corps plus
léger que l’eau. Il y a devant la poitrine une petite ouverture
bien bouchée avec une cheville , dans laquelle on
fouffle la quantité d’air qu’on juge néceffake pour fe fetv-
tenir fur la furface de l’eau.
(r) Gette invention étoit-connue des pêcheurs de l’Océat»
Atlantique , puifqu’Oppien en fait mention dans fou
Haüeuticon, liv. 5e. , verf. 177. « Ils lâchent, dit-il,
n d’abord après le poiifon qui fe plonge , de gros £àcs
» foufffés par les hommes avec leur haleine, & attaches
d à une corde >h
(2.) And'erf, Jdifi. Nat. du GroenL voL ï i , p» srSv