
leviers, poür les écrafer : enfuite, ils répandent
fur toute la peau une efpèce de b a ve ,
une liqueur vifqueufe , qui fait glifler la
proie dans l’intérieur du gofier. Malgré cette
préparation, il arrive fouvent que la malle
des alimens qu’ils avalent efl fi grolfe, relativement
à l’ouverture de l’oefophage, que
malgré tous leurs efforts, la proie n’entre qu’à
demi dans leur eflomac. Etendus alors dans
leur repaire, fans force & prefque fans mouvement,
ils font obligés d’attendre que la
partie qu’ils ont déjà avalee foit digeree, &
qu’ils puiflent de nouveau écrafer, broyer
& enduire la portion qui pend hors de la
gueule. On ne doit pas être furpris que dans
cet état les ferpens ne foient pas étouffés par
la quantité d’alimens, qui ,*en remplilfant leur
gofier, interceptent le palfage de l’air ; car on
fait qu’il n’y a point d’épiglotte pour fermer
la trachée - artère, & que ce conduit s’étend
dans cet ordre d’animaux, jufqu’au fourreau
qui enveloppe leur langue. C’eft ce tuyau
qui fournit un libre paffage à l’air, dans le
cas même où le gofier eft obftrué par un gros
volume d’alimens.
Qualités remarquables. Si des befoins
" journaliers ubügeoient les ferpens, comme
la plupart des autres animaux , à chercher la
même quantité de nourriture, cette extrême
voracité feroit-elle même la caufe de leur
deftruâïon. Difperfées par une chaffe habituelle,
ou détruites par une confoinmation fi
prodigieufe , les efpèces vivantes ne fuffi-
foiem bientôt plus à la fubfiftance de l’anim
al, & il mourroit d’inanition ; mais par une
propriété bien fingulière,.ces animaux, qui
ne mettent point de bornes à leur avidité
& qui remplirent quelquefois leur ventre au
point qu’ils Be peuvent ni attaquer, ni fe
défendre, ni changer de place, ces animaux,
dis-je, palfent plufieurs mois fans prendre
aucune nourriture. Quelques Auteurs ont
écrit que la Vipère pouvoir vivre un an &
plus fans manger. Ce fait eft fans doute exagéré
; mais au moins e fl- il certain que M.
Pennant en a gardé plufieurs enfermées dans
une boite pendant plus de fix mors, fans
qu’on leur donnât aucun aliment (i). Il
femble même que pendant une fi longue
digte, l’adivité de leur venin n’eft ni arrêtée
ni iufpendue , & qu’elles n’éprouvent pas
même une faim très-prenante , pulrqu’on ■
vu des vipè r es renfermées pendant pluGeuis
jours avec des fouris ou des lézards, met
ces animaux, fans chercher à s’en nourrir (i),
Au rapport de Kalm, lorfque le Boiquiraa
été pris & qu’il fe voit enfermé, il refiife
toute efpèce de nourriture ; & on prétend
qu’il peut vivre fix mois de cette manière, 11
eft alors très-irritë ; fi on lui préfente des ani-
maux, il les tue, mais ne les mapge pasft),
M. de Sept-Fontaines, qui a fait des obier-
vations très-exaéles fur l’ Orvet, alfure qu’il
a eu .chez lui plufieurs individus de celle
e fp èce, Sc qu’ils fe font lailfés mourir au
bout de plus de cinquante jours, plutôt que
de toucher aux alimens qu’on avoit mis auprès
d’eu x , & qu’ils auraient dévorés avee
avidité, s’ils avoient été libres (5).
A cet avantage qu’ont les ferpens de palier
un temps confidérable fans recevoir ajic-ce
nourriture , s’en joint un autre qui n’efl pas
moins remarquable, celui' dè donner encore
quelques lignes de v ie , après qu’ils ■ ont été
privés . pendant environ vingt-quatre heures,
de l’air né ce lia ire à la refpirallon. Redi &
Boyle ont fait des. expériences à ce fnjei.
« Nous renfermâmes une vipère, dit ée der-
» nier Phyficten , dans un-récipient des plus
» grands entre les petits , & nous fîmes 1®
» vide avec un grand foin! La vipère alloit
» de bas en haut, & de haut en bas, comme
» pour chercher l’air. Peu de temps apres,
» elle jeta par la bouche un peu d’écume'
» qui s’attacha aux . parois du verre. Son
„.xai'ps enfla peu , & le.cou encore moins,
» pendant que-Pou pompoit Pair , & -encore
» un peu de temps après.; mais enfuite Ie
» corps & le cou fe gonflèrent, prodtsfeufe-
»> ment, & il parut fur le dos une efpèce de
» vefiïe. Une' dêmi-heure après qu’en eut
» totalement épuifé, l’air du- récipient ,_ h
n vipère donna encore des fignes.de vie,
» mais.nous n’en remarquâmes, plus-depuis-
» L ’enflure s’éiendoit jn(qu’au cou ; maisçh
». n’étoit pas Tort fenfible à . la mâchoire m-
(1) Char a j , defeript. anal, de la vipère. Mie1 * 3-Pou’
Jervîr à l’ filfi. Nat. des anim., pat MM. de 1 dca ens
royale des Sciences, vol. î , p. 6o f, ,
(x) Meni. de P Acad. de Suède, colleB. acad. tan ih
ƒ>.-<??. . . . ■
(3) Hijî. Nat. des ferp. , par M. le C» de la Cepe >
[f) Zool. Brittan de la Vipère. P• 43*'
* prieure. Le cou & une grande partie du
„ gofier étant placés entre l’oeil & la lumière
„ d’une chandelle, paroifloient afîez tranf-
» parens dans les endroits qui n’étoient pas
» obfçurçis par les écailles. Les mâchoires
» demeurèrent très-ouvertes & un peu tor-
» dues. L ’épiglotte & la fente du larynx, qui
.» relièrent aufli ouverts, alioient prefque juf-
» qu’à l’extrépiité de la mâchoire inférieure.
» La langue fortoit, pour ainfi dire, de def-
» fous l’épiglotte, 8c s’étendoit au delà ; elle
» étoit noire & paroifioit fans vie : le dedans
» de la bouche étoit aufli noirâtre. Au bout
» de vingt-trois heures , ayant laifle entrer
» l’air dans le récipient, nous obfervâmes que
»la vipère ferma la bouche à l’inftant; mais
» elle la rouvrit bientôt, 8c demeura dans cet
»état. Lorfqu’on lui pinçoit ou qu’on lui
» brûloit la queue, on apercevoit dans tout
» le corps des mouvemens qui indiquoient
* un relie de vie ( i) ».
Cette expérience explique pourquoi les
ferpens peuvent vivre & recevoir tout leur
acçroiflement au milieu des marais fangeux,
dont les exhalaifons méphytiques corrompent
l’air, le rendent moins propre à la refpiration,
& produifent dans l’atmolphère l’effet d’un
commencement de vide.
Il réfulte encore des propriétés que nous
venons d’énoncer, que les ferpens doivent
avoir la vie très-dure. En effet, il efl rare
qu’une bleflure leur donne la mort : le plus
léger coup fuffit, à la vérité, pour difloquer
les vertèbres du dos ou pour féparer celles
jîe la queue qui repoufle prefque toujours
après qu’elle a été emportée; mais il faut .
leur écrafer ou leur trancher la tête pour les
faire mourir. Malgré cette amputation, plu-
^ rs P itiés du corps, tant intérieures qu’ex-
terieures, fe meuvent 8c exercent encore leurs
fondions après qu’elles ont été féparées de
1 animal. On fait, par exemple, que le coeur
des vipères palpite long-temps après avoir été
arraché de la poitrine (ptyf 8c que les mufcles
des mâchoires ont la faculté d’ouvrir la
gueule & de la refermer , lorfque la tête ne
llent plus au corps. Plufieurs Phyficiens,
(0 Colle SI. acad. part, étrang. tom. 6 , p. i f .
, P. Plumier allure qu'ayant difféqué un Fer de
ta>!cf ^atre heures après fa mort, il trouva, que Ion coeiy
Pa piloit encore. Manufc. du P . Plumier, communiqué
^ M ’ Bloçh.
entre autres, M. Charas 8c M. l’abbé Fontana,
prétendent que la morfuré de la tête, ainfi
léparée du tronc, efl aufli dangereufe que
lorfque la vipère étoit entière. On a vu la
tête d’un D ev in , coupée dans le moment
où le ferpent mordoit avec fureur , continuer
de mordre pendant quelques inflans,
8c ferrer même alors avec plus de force la
proie qu’il avoit faille (i).
On croit généralement en Amérique que
le Boiquira a le pouvoir enchanteur d’attirec
à lui les animaux pour les dévorer. C ’ell aufli
l’opinion de Linné 8c de la plupart des Na-
turaliftes. « Je n’ai pas été témoin de cette
» adion , dit Catesbi ; mais un grand nombre
» de perfonnes à qui j’en ai entendu faire le
» récit, conviennent toutes fur la manière de
» l’opération. Les animaux , difent-ils, 8c
» particulièrement les oifeaux 8c les écureuils»
» dont ces ferpens font leur principale nour-
» riture , n’en ont pas plutôt aperçu un, qu’ils
» fautent de branche en branche, volant 8c
» approchant de leur ennemi, fans s’aperce-
» voir aucunement du danger, 8c avec des
» geftes 8c des cris qui marquent leur étour-
» dilfement ; ils defeendent même du fommet
» des arbres les plus élevés, jufqu’au ferpent
» qui ouvre fa gueule, les prend 8c les avale
» dans l’inftant (2) ». Les Anciens croyoient
que les Boas fafeinoient 8c entraînoient pac
leur foufïïe empoifonné, les hommes 8c les
animaux (3). Dans quelques pays de l’Euro
p e , on accorde aufli cette vertu attradive
à plufieurs elpèces de Couleuvres. Un homme
inftruit m’a afîuré qu’il avoit vu un jour un
petit troglodyte attiré de cette forte par uii
gros Serpent à collier. Cet animal avoit la
gueule béante, 8c tenoit fes yeux fixés fut
(f) Ce fait, dit M. le Comte de la Cepède, m’a été
confirmé, relativement au Devin ou à d’autres grands ferpens,
par plufieurs Voyageurs qui étoient allés dans l’A mérique
méridionale, & particulièrement par M. le Barou
de Widerspach, correlpondant du Cabinet du Roi. HiJl•
Nat. des ferp. p. 374.
(1) Cates b. Carol. 1 , p. 41.
(3) Draco mires magnitudinis, quos gentili fermone
Boas vocant, eo quod tant grandes jint ut boves glutire
foleant, omnem latè vaflabat provinciam ; & non folùnt
arment a. & pecudes, fed agricolas quoquè & pajlores,
traSlos ad fe vi fpiritus aljorbebat.... D. Hieronymi
Stridonienfis Epift. feledæ lugduni, 1677, vit. fand. Hila-
rionis, p. 410.