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feul coup de tonnerre depuis 7 heures : il commença à gronder vers
9 heures, mais tout annonçoit qu’il étoit très éloigné. Je n’avoi»
encore vu que deux ou trois fois des éclairs terminés : une feule
fois la foudre me parut s’élever de bas en haut fous la forme d’une
fufée ; & je n’entendois pas le tonnerre.
L ’orage s’approchoit cependant. Bientôt un grand vent s’éleva,'
& produifit un ouragan qui remplit l’air d’une fi grande quantité
de pouifiere, que la lumière des éclairs en étoit confidérablement
affaiblie. L’orage ayant tourné un peu au Sud en s’approchant toujours
de Paris, je defcendis au premier étage pour y continuer mes
obfervations, Ayant fait part à M. de Caifini le fils de l’objet de
mes obfervations, il fe joignit à moi, ainfi que M. de Prunelé.
Nous fiâmes nous placer à une des fenêtres du petit Cabinet d’ob.
fervations : fa petiteiTe & fa difpofition nous mettoient à l’abri des
grands coups de vent, de la pluie qui commençoit à tomber, & des
accidents que pouvoient occafionner les grandes fenêtres du refie
du bâtiment, à caufe de la quantité de fer qu’elles contiennent.
Nous apperçûmes tous très dillinclement la foudre s’élever du côté
de Cliâtillon fous la forme d’une fufée : fa groffeur & fa vivacité
diminuoient à mefure qu’elle s elevoit. Le coup de tonnerre qui
fuivit ne fut cependant pas confidérable. A 1 oh la pluie augmenta,
La nuée orageufe s’étendoit fur Paris , du-moins du
çôté de l’Obfervatoire : les éclairs & les coups de tonnerre fe
fuccédoient prefque fans interruption. Nous étions toujours au
même endroit, tournés du côté du mât fitué fur la terraife de l’Obfervatoire,
Ce mât eft ifolé, rempli de clous dans les fentes , pour
y fixer le plâtre dont elles ont été remplies ; il eft éloigné du bâtiment
de z z toifes, & de 3 x de l’endroit où nous étions. A io h[
environ, la foudre s’éleva le long de ce mât ; & nous l’apperçûmes
avec une telle évidence, que je m’écriai, Ah ! la voilà. Le coup
de tonnerre.fuivit immédiatement, Quelques Domeftiques fe fauÉ
l e c t r i c i t é . 719
verent dans l’appartement voifin ; d’autres vinrent nous joindre, &
chacun des voifins précendit que la foudre étoit tombée dans les
environs.
Je fus convaincu que la foudre avoit parcouru le mât, non feulement
parce que je l’avois vue très diftinélemert, mais encore parce
que j’apperçus également bien des étincelles après le coup de tonnerre.
Ces étincelles reffembloient à celles qu’on voit après qu’une
futée s’eft éteinte, & il me parut qu’elles étoient produites par les
parties du bois que la foudre avoit détachées, & qui avoient ete
enflammées : aufli le lendemain tout le mât portoit les imprefllons
de tous ces phénomènes, depuis le bas jufqu’à fon extrémité. Le
bois avoit été brûlé dans quelques endroits, les clous fondus en
partie; & ces imprefllons étoient telles, qu’elles démontroient que
la foudre s’étoic élevée de la terre, quand même je ne l’aurois pas
vue. A la première aflemblée de l’Académie, je rendis compte de
l’obfervation de ce phénomène ; j’y portai le bois & quelques clous.
Ce Mémoire devant être imprimé parmi ceux de la même année,
je me borne à faire ici l’expofé dé ce phénomène. Je rappellerai
cependant une obfervation eflentielle. J’apperçus'très diftinélement
un petit intervalle entre le bruit & le moment que la foudre parut
au bas du mât, de façon qu’elle s’éleva fans bruit ; & le coup de
tonnerre n’éclata qu’à l’inftant que la foudre difparut, ou plutôt
lorfqu’elle fit explofion; car fi le bruit avoit été produit par l’étincelle
au moment qu’elle s’éleva de terre , je n’aurois pas dû ob-
ferver cet intervalle, parce que je n’étois éloigné du mât que de
3 z toifes ; & alors il n’y auroit eu aucun intervalle fenflble entre
l’éclair & le bruit.
Cette obfervation fait voir que le tonnerre n’eft une fuite de l’éclair
, qu’autant qu’il y a explofion, & qu il peut y avoir , par la
même raifon, beaucoup d éclairs fans tonnerre, ainfi qu on 1 ob*
ferve fouvent.