
DES COQU I L L ES FOSSILES
E N G É N É R A L ,
: i C U L I E R D E C E L L E S Q U ’ O N T R O U V E
LA MONTAGNE DE SAINT-PIERRE.
E n recueillant dans un même corps d’onvrage toutes les productions fossiles
connues, des environs de Maestricht; j’ai eu pour but, non-seulement
de faire connoître l’histoire naturelle d’un lieu aussi remarquable par la
multitude de corps étrangers qu’une révolution y a accumulé pêle et mêle;
mais encore de classer dans un certain ordre cette suite d’objets divers si
propres à fixer l’attention de ceux qui aiment à méditer sur les grands événemens
de la nature.
Les savans qui se livrent depuis quelque tems avec une application louable,
et même avec une sorte de passion, à cette belle étude, n’ignorent pas
que deux causes ont concouru principalement à en retarder les progrès : la
première tient à ce qu’en général on s’est trop attaché à isoler les faits, et
à ne les présenter que d’une manière, pour ainsi dire , partielle ; la seconde
à ce que la marche systématique, fondée sur des caractères fixes et distinctifs,
a été trop négligée par ceux qui nous ont précédé, ou plutôt les bonnes
méthodes leur ont manqué, comme elles nous manquent encore à nous-
mêmes dans quelques branches d’histoire naturelle.
Aussi la plupart de ceux qui jusqu’à présent ont voulu se livrer à des
théories , n’ont pu s’appuyer que sur des bases peu solides qui ont rendu
leur marche incertaine et presque toujours chancelante.
Si l’illustre Buffon, par exemple , qui a plutôt deviné la nature par la
force de son génie, qu’il ne l’a véritablement connue par des faits précis et
des détails suffisamment exacts, eut voulu allier à l’art méthodique du
grand Linné, le talent qu’il avoit d’enfanter de belles conceptions et de les
rendre en peintre sublime, il eût sans doute été bien au-dessus de Pline.
Cependant, soyons justes à son égard, et ne craignons pas de dire que la
méthode systématique, qui a été si utilement mise en usage jusqu’à présent,
n’avoit pas à cette époque obtenu l’assentiment des hommes les plus
distingués de ce tems. Cette innovation hardie, mais heureuse, puisqu’elle
a permis aux naturalistes de tous les pays de s’entendre, avoit effrayé,
peut-être avec quelque raison, les meilleurs écrivains d’alors; car les expressions
créées ou employées par Linné, étoient si multipliées, et en même
tems en si grande opposition avec les langues vivantes, que l’homme le
plus exercé dans l’art d’écrire, devoit à jamais renoncer à bien traduire les
ouvrages du célèbre naturaliste suédois.
La langue françoise sur-tout, qui, par sa clarté, sa précision et sa noble
simplicité, étoit à la veille de devenir la langue universelle de l’Europe,
s’effaroucha plus que les autres, d’une nomenclature si inusitée et si éloignée
en même tems de celle de Tournefort, de Bernard de Jussieu, de
Réaumur , de Duhamel, de Buffon et des autres savans françois dont les
ouvrages étoient traduits dans toutes les langues, et se faisoient lire avec
un si grand intérêt.
Cependant comme, depuis lors , les découvertes journalières en histoire
naturelle, et le goût général pour cette étude , ont multiplié , pour ainsi
dire, à l’infini, les objets nouveaux dans tous les règnes, l’on a reconnu
que la méthode systématique de Linné étoit la seule qui put offrir, dans un
ordre classique, cette immensité de productions qui auroient échappé à la
mémoire la plus étonnante, et auroient plutôt embarrassé la science, qu’accéléré
son avancement, si l’on n’avoit pas reconnu ce moyen de les présenter
dans des cadres, où l’on étoit sûr de les retrouver au besoin. Un second
avantage de cette manière de classer cette série indéfinie d’êtres de tous les
genres et de toutes les espèces; c’est qu’on a trouvé par-là l’art d’inventorier
la nature , si l’on peut se servir de cette expression, et celui de présenter
toutes ses richesses connues, dans une sorte d’abrégé qui évitera des peines
infinies à ceux qui arriveront après nous, et qui pourront, de faits en faits,
de vérités en vérités, atteindre par-là au plus haut degré des connoissances
de la nature.