
Voilà donc Incontestablement quatre crocodiles de la même espèce trouvés
dans des lieux différens et à de grandes distances les uns des autres (i);
si je voulois rappeler ici le crocodile décrit et figuré dans les MisccUanca
Berolinensia, de 1710, page 99, par C. M. Spener, crocodile minéralisé
en pyrite cuivreuse, au sujet duquel ce savant a publié une dissertatton
très-bonne pour le tems, nous verrions encore un crocodile à long bec,
un véritable gavial.
En 1768, M. Guillaume Chapman découvrit près de Wbltby, en York-
shire, au bord de la mer, près d’une dune qui a cent quatre - vingt pieds
de hauteur presque coupée à pic, les parties osseuses pétrifiées d’un crocodile
, qui gisoient dans la pierre même qui composoit la couche inlérreure
de la dune baignée par la mer et sans cesse battue par les vagues, ec Je fars
« mention de cette circonstance, ditM. Chapman, pour prévenir l’objec-
« tion qu’on pourroit faire que cet animal peut s’être trouvé à la surface et
<1 s’être enfoncé par le laps de tems dans l’endroit où il gisoit ; ce qui doit
« être impossible , du moins depuis que les pierres ont leur consistance ac-
« tuelle. L ’endroit où gisoient ces os étoit fréquemment couvert de sable
«de mer jusqu’à la hauteur de deux pieds, et il étoit rarement à nu; ce qui
« étoit cause qu’on ne le voyoit pas souvent. » Voyez tome L , seconde partie
des Transactions philosophiques. La figure qui accompagne le mémoire
de M. Chapman est celle du gavial ou crocodile du Gange. Le mémoire
fut lu le 4 mars 1768.
Voilà des farts bien dignes d’attention sans doute , puisque parmi les
crocodiles fossiles dont je viens de donner la liste, nous ne trouvons que
les dépouilles osseuses du seul gavial ; non qu’il ne soit possible qu’on ne
découvre quelque jour les restes du crocodile du N il ou de l’alligator d’A mérique;
mais je ne vois pas jusqu’à présent qu’il se soit offert aux recherches
et à l’observation des naturalistes, depuis l’époque déjà ancienne où
l’étude des pétribcations a fixé l’attention de tant de savans. Si l’on vouloit
citer comme un exemple contraire l’animal de Maestricht, que je considère
moi-même comme ayant appartenu à un crocodile, je répondrois
qu’une telle objection est plus favorable que contraire aux faits sur lesquels
j’ai voulu simplement appeler l’attention des géologues, sans y attacher
aucune sorte de système, puisque l’animal de Maestricht, si je puis en eflèt
parvenir à prouver qu’il est le reste d’un véritable crocodile, viendra alors
se ranger naturellement, d’après la disposition alongée et en quelque sorte
uniforme de ses os maxillaires, et d’après le caractère de ses dents , parmi
(î) Besson, inspecieur des mines, possède dans sa magnifique collection è Paris une porliun de mâchoire
pétrifiée de gavial, qui paroît, par la qualité de la pierre, avoir été tirée des carrières d’A liurf; mais comme
cet habile naturaliste acheta ce morceau curieux chez un marchand d’histoire naturelle de Paris , cl qu’il
n’y avoit ni étiquette ni indication de lieu , je ne rapporte ce fait que pour désigner le nombre d’os masU-
lairea fossiles de crocodiles du Gange qui sont à ma connoissance.
les crocodiles les plus rapprochés du gavial, et les plus éloignés de ceux du
N il et des caymans ou alligators d’Amérique. L ’on pourra, si l’on veut,
en former une espèce nouvelle, mais elle sera toujours voisine de celle du’
gavial.
Si des recherches ultérieures confirmoient dans la suite cette observation
ou plutôt ce simple apperçu, les circonstances en seroient d’une grande
importance pour l’histoire des révolutions de la terre, sur-tout si le même
exemple avoit lieu relativement aux autres animaux fossiles ; car il seroit
possible en mettant beaucoup de suite et de constance dans les recherches
de ce genre, qui présentent bien des difficultés, de parvenir peut-être à découvrir
que la nature a une marche uniforme dans ses moyens de destruction
et de déplacement, tant par dos voies tranquilles que par des moyens
accidentels et violens, comme elle a des places particulières en réserve et
constamment affectées durant leur vie à telle ou telle espèce d’animaux.
L ’on sent d’avance combien cette géographie physique des animaux , si
elle étoit jamais constatée, serviroit à nous tracer la cause et 1a direction
des forces et des mobiles qui ont contribué à opérer ces terribles déplacemens,
et à transporter les mêmes espèces à des distances énormes des lieux
OÙ elles vivoient auparavant.
Les coquilles fossiles que l’on étudie et que l’on connoît bien mieux actuellement
depuis qu’on s’occupe à former des rapprochemens avec leurs
analogues, semblent déjà nous offrir des inductions et peut-être même un
commencement de preuves qui nous invitent à réfléchir sérieusement sur
cet objet et sur les conséquences qui en découlent ; mais, je le répète, ce
n’est ici qu’un apperçu que je ne jette qu’en passant et sans y attacher d’autre
intention que l’avantage qui pourroit en résulter pour l’avancement de 1a
philosophie naturelle.
C’est dans ce but que, consultant plutôt mon zèle que mes lumières,
je n’ai négligé ni les peines, ni les voyages, ni les soins , ni le teins , pour
recueillir le plus grand nombre de faits et d’observations, sur les crocodiles
vivans, ainsi que sur ceux que d’antiques révolutions ont disséminés et
ensevelis à d’immenses distances des lieux de leur résidence première, et
dont les dépouilles osseuses, conservant encore tous leurs caractères, se
trouvent tantôt recouvertes par des collines de sable mêlé de poussière de
coquilles et de fragmens de madrepores, tantôt dans des couches feuilletées
de pierres marneuses, tantôt dans de grands dépôts argilleux, et quelquefois
au milieu des bancs d’une pierre dure de la nature du marbre, et côte
à côte avec des cornes d’ammon. Ce dernier fait, qui est incontestable et
qui peut être vérifié dans les carrières d’A ltorf par ceux qui le révoqueroient
I