
Meuse, dans le Brabant, dans la Hollande et ailleurs ; et ce n’est pas la
montagne seule de Saint-Pierre qui a fourni tant de pierres, car les collines
qui l’entourent sont criblées de toute part et au loin d’excavations et de
galeries souterraines d’une grande étendue, dont plusieurs même se sont
abymées.
Mais il faut observer aussi que long-tems l’on a fait usage comme engrais
de cette pierre sabloneuse, susceptible d’être réduite facilement en
poudre; en cet état elle convient très-bien aux terres fortes et argilleuses;
et comme il entre beaucoup de terre calcaire dans sa composition, elle
forme par-là une marne sèclie très-propre à fertiliser les terrains gras.
L ’opinion générale, au sujet de ces immenses excavations, est telle
dans le pays, que la plupart des babitans sont persuadés qu’elles se prolongent
jusqu’à -Visé, c’èst-à-dire, à plus de trois grandes lieues de l à , et
qu’elles passent sous la Meuse ; ce qui n’est rien moins que prouvé.
Ma première entrée dans une des parties de ce vaste labyrinthe et du
côté du fort de Saint-Pierre, eut lieu peu de tems après que la place fut
remise aux François; les généraux d’artillerie Dahoville et Bolemont, et
le général du génie Lagatine, hommes instruits et amis des sciences,
voulurent bien ordonner non - seulement qu’on fit toutes les dispositions
nécessaires pour qu’on pût visiter avec sûreté une partie de ces souterrains,
dans lesquels il est si facile et si dangereux de s’égarer; mais ils voulurent
bien y venir avec moi. Le citoyen Thoin, professeur d’économie rurale au
Jardin des Plantes de Paris, et le représentant du peuple Freicine, en
mission alors dans la Belgique ( i ) , firent le voyage avec nous.
Nous entrâmes par la galerie ouverte de main d’hommes, où plusieurs
personnes nous attendoient avec des torches allumées. On avance d’abord
pendant cent cinquante pas environ dans une espèce de couloir assez large
et assez élevé pour que, les voitures puissent y circuler, et qui a été creusé
de cette sorte pour atteindre les masses qui donnent la meilleure qualité
de pierre ; et lorsqu’on a parcouru cet espace, l’on voit de nombreuses arcades
se développer de toute part et dans tous les sens, de la manière la
plus hardie et la plus pittoresque.
Toutes les voûtes, taillées avec assez d’a r t, sont supportées tantôt par
des pilliers, tantôt par des murs pris dans la pierre même.
( i ) U n sentiment d’estime et de reconnoissance m’oblige de rendre justice à ce représenlant envoyé
dans les pays conquis à une époque qui rappelle des souvenirs douloureux ; mais sa conduite fu t loii-
jours pure, et il n’employa les pouvoirs dont il étoit revêlu qu’à ê(re juste et à lavoriser les sciences et
les arts.
Cette quantité Innombrable de colonnes et de voûtes exhaussées, imitent
tantôt d’immenses temples, tantôt des acqueducs qui se succèdent et
se perdent dans le lointain ; il- résulte de cette réunion de péristyles, de
dômes, d’arcades et de galeries un ensemble si extraordinaire, si disparate
et si compliqué, qu’au milieu d’un si vaste labyrinthe on ne sait plus
par où l’on est entré , ni la route par laquelle on pourra sortir.
Une ligne tracée avec du charbon sur un des côtés, dirigeoit notre marche
: cette précaution avoit été prise quelques jours auparavant par des
ingénieurs, qui, à l’aide d’un ancien plan, de la boussole et de l’assistance
de plusieurs sapeurs associés à ce travail, étoient parvenus à trouver une
route qui traversoit la montagne dans sa partie la plus étroite, et aboutis-
soit vers une ancienne ouverture correspondante au bord de la Meuse.
A peine eûmes-nous parcouru un espace de trois cents pas de longueur
environ, dans les premières galeries, qu’on nous fit voir à côté d’un emplacement
assez vaste un four à cuire le pain, très-artistement creusé dans
le massif de la pierre, ainsi qu’une cheminée taillée de la même maniéré,
dont le conduit, dirigé par un tuyau dans une des galeries latérales, em-
pêchoit la fumée d’incommoder personne.
Des étables à-vaches et à moutons, ainsi que des loges à porcs, avoient
été disposées tout auprès, par de malheureux cultivateurs qui, quelques
mois auparavant, avoient transporté dans ces espèces de cachettes retirées
leurs bestiaux et leurs principales provisions, afin de les soustraire à l’armée
autrichienne, avant le siège Ao Maootviclii. Mais cette armée ayant
été battue et repoussée jusque dans la ville, le blocus en fut formé sur-
le-champ ; de manière que les paysans qui s’étoient retirés dans cet asyle
souterrain, furent contraints d’y rester cachés.
Ces nouveaux troglodytes avoient de l’huile pour s’éclairer, quelques
ustensiles de ménage, des légumes secs, de la farine, de l’avoine et du
fourrage pour leurs bestiaux; il leur falloit un four à cuire le pain : il leur
fut très-facile d’en creuser dans une pierre aussi tendre. L ’eau ne leur man-
quoit pas ; elle suintoit assez abondamment du milieu de la voûte d’une
des galeries, et elle y fonnoit un dépôt d’eau suffisant et de bonne qualité:
ce qui étoit d’autant plus heureux, que toutes les autres galeries sont,
en général, très-sèches et sans la moindre humidité.
Approvisionnés de ce qui leur étoit strictement nécessaire, ces pauvres
gens devoient à la salubrité de l’air et à la douce température qui règne
dans ces vastes souterrains, l’état de santé dont Ils jouissolent. Ils suppor-
toient avec d’autant plus de patience cette vie solitaire, et en quelque sorte