
dans sa collection particulière le squelette d’une tête de gavial Lien entière,
je lui demandai la permission de la faire dessiner, et elle fit suite à mes
autres dessins.
Je vis quelque tems après dans la savante collection zoologiqne de mon
ami Hermann de Strasbourg, de jeunes crocodiles venus de la Floride,
qui, malgré leur ressemblance générale avec les crocodiles ordinaires du
N il’, avoient néanmoins un aspect ou plutôt ce que les naturalistes appellent
un/udès , c’est-à-dire, une sorte de physionomie plus facile à sentir
qu’à décrire. Ceux-ci sembloient présenter quelques légères différences qui
n’avoient pas cctappées à l’habitude et à la manière de voir du célèbre professeur
de l’école centrale du Bas-Rhin; aussi dès que je lui eus témoigné le
désir d’en faire faire un dessin par Denis Montfort qui m’accompagnoit, il
s’empressa de me faire lire la note écrite de sa main qui leur servolt d’indication
, et dans laquelle 11 avoit très-bien observé que les pieds de derrière
n’étoient qu’à demi-palmés, et que le museau paroissoit différer jusqu’à
nn certain point de celui du crocodile du Nil par sa forme un peu
plus obtuse. Quoique ces différences me parussent tenir plutôt à l’âge, au
climat et peut-être à la manière de vivre de ces animaux, qu’à l’espèce particulière
, je fis dessiner un de ces crocodiles du cabinet d’Hermann, parce
que j’avois la certitude , par la lettre d’envoi qui les accompagnoit, qu’ils
avoient été tués dans le lac George dans la partie de la Floride angloise ;
rien sans doute n’est si essentiel en histoire naturelle que d’avoir des connoissances
positives sur les localités, afin de pouvoir se mettre à portée d’en
faire l’application aux restes des animaux fossiles de la même espèce, qu’on
trouve souvent dans des latitudes entièrement opposées à celles où ces animaux
ont vécu dans leur état naturel.
Les recherches dont je m’occupois relativement aux diverses espèces de
crocodiles avoient pour but principal l’étude de ces animaux dans l’état
fossile ; je ne tardai pas à en reconnoître l’avantage et l’utilité , lorsqu’on
visitant quelque tems après la collection du landgrave de Hesse-Darmstad,
dans laquelle ce prince avoit réuni celle de Merck, qui a publié des lettres
instructives sur des rhinocéros , des éléphans et des dents d’hippopotames
trouvés dans le voisinage du Rh in , je vis dans ce cabinet instructif une
tête pétrifiée de gavial, dont on distinguoit très-bien tous les caractères au
milieu d’un marbre gris coquillier, dur et susceptible d’être poli, tiré des
carrières d’Altorf. Je ne négligeai pas, ainsi qu’on peut le croire, de faire
dessiner avec le plus grand soin nn objet aussi rare et aussi intéressant. Le
landgrave voulut bien m’en accorder l’agrément, et les soins officieux de
M. Schlayermacker, chargé de la direction de ce cabinet me rendirent
cette faveur doublement agréable.
En revenant d’Allemagne par Francfort, je m’arrêtai pendant quelques
jours à Manheim, pour y visiter le superbe cabinet de l’électeur Palatin, et
y voir l’estimable et bon Colini, qui a présidé à son arrangement, ainsi que
M. Medicus, excellent botaniste qui a la direction des jardins. Ces savans
voulurent bien l’un et l’autre me combler d’attention et de bonté. En étudiant
les belles suites de pétrifications du Palatinat, do l’Allemagne, de
l ’Italie et d’autres lieux, qui font l’ornement de cette grande réunion d’objets
d’histoire naturelle , je fus agréablement surpris d’y voir les os maxillaires
d’un crocodile semblable en tout à celui du cabinet de Darmstad,
c’est-à-dire , de l’espèce du gavial, changé en une pierre dure, d’un gris
foncé de la nature du marbre, et au milieu de ce marbre des ammonites
et quelques empreintes d’autres coquilles bivalves.
Le bloc qui renferme les os maxillaires de ce gavial, tiré, ainsi que le
précédent, des carrières d’A ltorf, a été séparé d’une manière si beiiieuse
qu’on peut distinguer facilement la partie de dessus et celle do dessous de
cette belle mâchoire. L ’on peut croire qu’un pareil -objet m’intcressolt trop
pour ne pas en désirer un beau dessin , que je fis faire avec beaucoup de
soin. Il en existoit dans les actes do la société de Manheim, une figure très
en petit, et sans les accessoires qui accompagnent cette pétrification. Lorsque
Colini la publia dans le recueil de cette savante société, il regarda ces
os maxillaires comme appartenant à un animal inconnu (r).
Je savois depuis long-tems que l’abbé Bacltellet, qui s’étoit beaucoup
occupé des corps marins pétrifiés des environs du Hâvre, de Honlleur, etc.,
et qui a publié quelques mémoires intéressans à ce sujet dans le .Journal
de physique et d’hist. naturelle, possédoit une fort belle mâchoire pétrifiée
qui avoit été trouvée dans les escarpemens argilleux et pyriteux qui servent
de barrière à la mer du côté des Vaches-Noires. Ces os maxillaires ,
en partie séparés de leur gangue, sont de la plus belle conservation , et
chose assez remarquable , c’est qu’ils appartiennent à un crocodile de Tes-
pèce du gavial. J’en ai un superbe dessin de la main de Maréchal, peintre
du Muséum d’histoire naturelle.
On trouva du tems d’Arduini, dans les montagnes de Rozzo aux Sept-
Communes, vers les limites du Tirol, dans une roche marneuse qui renferme
une multitude de plantes, qui ne sont ni pierreuses, ni cbaiboimi-
fiées, mais dans une espèce de dessication qui a engagé Fortis, dans une
lettre adressée à Testa, à leur donner le nom expressif de squelettes de
plantes, une tête de crocodile pétrifiée , que Berrettoni conserve dans sa
collection à Scio, petite ville du Vicentin. Mon savant arni Fortis a bien
voulu m’en procurer un bon dessin. J’ai vu, non sans une sorte d’étonne-
inent, que ce crocodile a tous les caractères du gavial.
(1) Mémoires de la Société de Manheim, toiae V , planche U I, de la |)artie physique.