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A deux lieues au Sud-Est du Presidio et à la côte méridionale du
port, est la mission San-Francisco qui forme un village assez considérable.
L ’église est grande, et tient à la maison dès missionnaires ,
qui est simple, passablement propre et commode. La mission a
toujours une garde de trois à quatre soldats du Presidio. Le village
est habité par i5oo sauvages; ils y trouvent protection, vêtement,
nourriture abondante; en revanche, ils cultivent la terre
pour la communauté. Le maïs, le blé, les fèves, les pois, les
pommes de ter re, en un mot , tous les produits sont apportés
dans le magasin commun. Tous les jours le missionnaire fait taire,
à une heure f ixe , la cuisine commune, sur une grande pla ce,
au milieu du village ; chaque famille y vient chercher sa ration
proportionnée au nombre de ses membres. On lui donne aussi
une certaine quantité de denrées crues. Deux on trois familles habitent
une même maison. Dans les moments qu’ils ont de libres,
ces Indiens vont travailler aux jardins qui leur sont assignés; ils y
cultivent de l’oignon, de l’a i l , des melons, des pastèques, des
courges, et des arbres fruitiers. Le produit leur en appartient, ils
en peuvent disposer à leur fantaisie.
Pendant l’h iv e r , les sauvages viennent par troupes des montagnes
à la mission pour y être admis ; mais au printemps la plupart
l’abandonnent. Cette manière de vivre ne leur plait pas; ils s’ennuient
de toujours travailler et d’avoir tout en abondance. Dans
leurs montagnes, ils mènent une vie libre, indépendante, quoique
misérable; les rats, les insectes, les .serpents, tout sans exception
leur sert de nourriture, ainsi que des racines, mais en petit
nombre; de sorte qu’à chaque pas ils sont à-peu-près sûrs de trouver
quelque chose pour apaiser leur faim. Ils sont trop maladroits
et trop paresseux pour chasser. Ils nont pas de demeures fixes;
un rocher, un buisson les met à l’abri de toutes les vicissitudes
du temps. Ils vont absolument nus. Après quelques mois de séjour
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dans les missions, ils commencent ordinairement à devenir chagrins,
maigrissent j et à chaque instant jettent un cOup-d’oeil triste
sur les montagnes qu’ils voient dans le lointain. Une ou deux fois
l’an, les missionnaires permettent aux ndiens, sur le retour desquels
ils peuvent compter, d’aller visiter leur patrie ; mais souvent
, et très-souvent , bien peu reviennent ; d’autres, au contraire
, ramènent avec eux de nouveaux habitants à la mission.
Les enfants des sauvages sont plus enclins à adopter la vie des
missions ; ils apprenent aussi à fabriquer, avec la laine des moutons,
des draps grossiers pour la communauté. J’ai vu vingt métiers qui
étaient constamment en activité. D’autres jeunes Indiens sont formés
par les missionnaires à la praticjne de différents métiers. On voit
aussi à la mission une maison dans laquelle habitent deux cent
cinquante femmes, qui sont les veuves ou les filles des sauvages
défunts. On les occupe à filer. Cette maison renferme aussi plusieurs
femmes de sauvages qui sont en campagne par ordre des
padrès ; ceux-ci les y font entrer à la demande des sauvages, et
les y retiennent jusqu’au retour de ces hommes c[ui sont très-jaloux.
Les padrès se conforment volontiers à cette requête pour préserver
les femmes du désordre, et veillent avec beaucoup de sévérité sur
cet établissement.
La mission a deux moulins que des mulets mettent en mouvement;
la farine qu’ils produisent ne sert qu’à la consommation
des Espagnols, qui sont obligés de l’acheter des padrès. Le Presidio
a souvent besoin de gens de corvée, comme pour porter du bois,
travailler aux constructions , et à d’autres ouvrages. Alors le missionnaire
leur envoie des sauvages, qui sont payés pour leur peine;
mais l’argent est remis à l’église qui est chargée de faire face à
tons les frais relatifs à rétablissement.
Les dimanches et les jours de grandes fêtes, on célèbre le service
divin. Tons les sauvages de l’un et l’autre sexe, n’importe
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