ainsi : « Nous sommes montés jusqu’au pied du glacier de Tschingel, et plus haut
encore, là où en face du Tschingelhorn un petit lac s’est formé dans les glaces. On
donne ici le nom de Horn aux pointes extrêmes de certains rochers le plus souvent
recouverts de glace et qui affectent la forme d’une corne. Il m’est impossible, si près
de ces glaciers, de vous donner une idée nette de l’étrangeté des choses et des phénomènes
de la nature qu’on y voit. » Voilà bien la mentalité d’alors ! Tout ce que les
plus aptes à comprendre la haute montagne savent dire, c’est que c’est... étrange !...
Blumenthal.
Etrange, c’est-à-dire déroutant, sans point de contact avec l’esprit! Ces sublimités-là
murmurent une langue mystérieuse que personne n’avait encore épelée, qui semblait
ne réveiller aucun écho dans les profondeurs de l’homme qui sait vibrer et penser !
E t l’on ne s’étonne plus que, n’ayant rien compris à ce monde-là, l’auteur se sente
incapable d’en donner à sa lectrice une « idée nette ! »
Mais soyons francs : nous qui sommes depuis notre enfance élevés à regarder et
à comprendre ces magnificences, nous-qui les avons vues et revues, de jour, de nuit,
aux heures de grande gloire automnale ou hivernale, qui sommes familiers avec les
effets de lumière les plus variés qui peuvent se produire, sommes-nous mieux en état
que Goethe d’en donner une idée nette et d’exprimer ce que nous sentons ? E t ici
même, au centre de ce cirque incomparable de la Jungfrau et de la longue théorie des
hauts sommets de l’Ebnefluh au Tschingelhorn aux flancs inondés de cataractes de
glace, sommes-nous à même de rédiger une description quelque peu adéquate à son
objet ?
Nous ne disons plus : c’est étrange ! Nous disons : c ’est inexprimable ! parce que
nous sentons confusément beaucoup de choses en présence de cette beauté-là, et que
Jungfrau vue du Sefinenthal.
nous ne parvenons pas à en trouver la formule. Tout cela ne nous est pas étranger,
puisque cela fait partie de notre être le plus intime ; nous réalisons un accord parfait
et profond entre ce que nos yeux voient, l’impression profonde produite en nous et les
besoins cachés de notre nature supérieure.
Plus nous y sommes, plus nous voudrions y être pour prolonger ce contact entre
cette nature et la nôtre. Rien d’étonnant que nous nous sentions attirés par les hauts
plateaux de Tschingel et du Petersgrat, dont nous apercevons les abords, soit pour
gagner le Lôtschthal, vers lequel nous nous sentons invinciblement attirés, soit pour
descendre dans le mystérieux Gasternthal. Nous n’aurions qu'à nous rendre à cet effet