Ceux-là même d’entre nous qui sont déjà en avant cheminent avec la douce idée qu’ils
ont entendu une belle avalanche et on a une peine infinie à les détromper. »
En route maintenant ! Nous reprenons le tram électrique qui s’élève agréablement
au travers de pâturages et de forêts, riches en endroits à pique-niques, dont le sol
est en octobre tout violet-rose de bruyères d’automne. Voici la station et l’hôtel de
la Wengernalp qui a donné son nom à la ligne ; un peu au delà un essai de plantation
d’aroles qui semble en pleine prospérité et qui promet pour l’avenir un attrait de
plus à cette contrée ; à droite, au-dessous de nous, la sauvage vallée du Trümmelbach,
et immédiatement après, une colossale paroi tourmentée, aux couloirs sillonnés de
traces d’avalanches et interrompues par les cascades de séracs formées par les g la ciers
de Giessen, de Guggi et de l’Eiger ; et bien haut dans l’atmosphère les cimes
de la Jungfrau, du Mönch et de l’Eiger. L e tableau est encore plus complet si, pour
obtenir le recul nécessaire, nous gagnons, dès la station de la Petite Scheidegg
(2064 m.) où nous arrivons tout à l’heure, le sommet du Lauberhorn (2475 m.). Nous
en avons conservé un inoubliable souvenir. Essayer de décrire pareil spectacle, qui
l’oserait? Les mots disent si peu ; ils ont été si souvent utilisés, tordus et même
anéantis dans leur valeur intime que l’on hésite à les employer, même quand on
cherche à être scrupuleux dans ce domaine aussi ; la phrase toute faite, banale, appliquée
à tort et à travers vous guette et vous tombez dans le piège !
Cette crête herbue, là-bas, qui termine notre chaînon vers le nord,; qu’est-ce donc ?
C ’est le Männlichen (2346 m.), auquel nous pouvons arriver en passant, — avec prudence
et discernement, — par le sommet voisin du Tschuggen (2023 m|j|où l’on sera
sûr de n’être pas dérangé, et par la petite route qui le relie à la Scheidegg. Chacun
a présent à la mémoire le colossal panorama du Männlichen, exhibé au Village suisse
de l’Exposition nationale de Genève en 1896, à Chicago en 1897, et à Paris en 1900,
et exécuté par les peintres Baud-Bovy, Burnand et Furet, avec le concours de
MM. van Muyden, Martin, Aubry et Virchaux ; on retrouvera dans YEcho des Alpes
de i 8g3 les souvenirs qui se rattachent à cette entreprise artistique. Le simple fait
que ce panorama a été jugé digne, par des artistes distingués, d’être reproduit comme
le type d’une des plus belles vues de nos Alpes suisses, en dit suffisamment long sur
sa beauté de premier ordre et l’intérêt qu’il présente dans le détail.
A la Petite Scheidegg, où nous sommes revenus, nous nous installons dans le
Jungfraubahn ; il nous farde, en effet, d’aller voir cette ligne extraordinaire qui a tant
fait parler d’elle et qu’utilisent, avec raison chaque année, en hiver comme en été, de
très nombreux voyageurs. A la station d’Eigergletscher, on laisse derrière soi les
pâturages au milieu desquels circule la ligne à ses débuts, et l’on pénètre dans les
flancs gigantesques de l’Eiger pour n’en plus sortir qu’au Jungfraujoch. Tandis qu’au
dehors la tempête fait rage, chassant des tourbillons de neige en poussière, nous
sommes ici en parfaite sécurité, enveloppés d’une température égale et douce. A l’Ei-
gerwand (2867 m.), nouvel arrêt ; au travers de la vaste baie dans la paroi de notre
Jungfrau vue d’Isenfluh.