ce donc? Un habitant du pays auquel nous le
demandons nous dira que c’ est Beatenberg
(i i 5o m.). Longtemps ce nom n’a éveillé en moi
que l’image d’une villégiature alpestre quelconque,
plutôt banale, à la mode en certains
milieux et très fréquentée; mais où, je dois
l’avouer, je n’étais jamais allé ! M’y étant enfin
rendu, comme César (ou à peu près !), j’ai vu
e t... j ’ai été vaincu! Mes préjugés ont fait de là
haut un plongeon de premier ordre dans les
eaux du lac ! Ah ! méfiez-vous des opinions toutes
faites, des réputations presque toujours fausses
en bien ou en mal que l’on fait à tant d’endroits
qui ne méritent peut-être ni cet excès d’honneur
ni cette indignité. Il y a des clichés qui se colportent
de table d’hôte en table d’hôte, de five
o’clock en five o’clock et qui contribuent plus
que toutes les réclames à tuer un endroit ou à
le faire vivre : ici il pleut toujours, là il fait toujours
beau, ailleurs c’est humide, plus loin l’air
des glaciers refroidit l’atmosphère, etc .... C ’est
entendu, décidé sans appel !
Je fais donc peccavi, et je me sens pressé
d’engager vivement chacun à aller au Beatenb
erg en choisissant pour la première expérience
le plein hiver. On prendra à Beatenbucht le
funiculaire qui vous conduit lentement, mais
. . 7 Beatenberg.
avec un sentiment de pleine sécurité ; le lac bleu
s’enfonce toujours plus sous les pieds, les forêts sombres mais ensoleillées, aux parterres
tapissés de bruyères, de houx et de mousse qu’on traverse fournissent à la
vue un premier plan très caractéristique ; la pyramide du Niesen, un instant encachée
par les parois d’une tranchée, se fait toujours plus légère, aérienne, montant vers le
ciel d’un élan grave et serein.
Nous voici au but. Après avoir suivi la route dans un premier essai d’exploration,
abandonnons-la à quelques pas de la station. Un sentier monte à gauche vers les
hauteurs; suivons-le et, parvenus à une petite altitude au-dessus du niveau moyen de
cette villégiature, nous enfilons un petit chemin en corniche conduisant à Breiten,
Riedboden et le long de l’Obererkirchweg; le paysage, en hiver en particulier, y est
d’une beauté rare et d’un charme puissant. Revenus à la grande route, dans le voisinage
de l’église paroissiale, nous nous arrêtons une fois de plus ; quel tableau exquis
THOUNE ET SON LAC — BEATENBERG — INTERLAKEN E T SES ENVIRONS 8 7
s’offre à nos regards : un vieil et très pittoresque édifice, au clocher en éteignoir,
selon le style courant dans une grande partie de l’Oberland, et tout à côté un paisible
cimetière et de splendides érables dont les branches sans feuillage à cette saison
encadrent ou découpent les trois cimes reines des Alpes bernoises ; entre leurs troncs
jaunâtres on aperçoit la nappe profonde du lac bleu-gris, un vrai tableau pour les
peintres. On peut prendre près de là un sentier qui semble descendre dans le vide et
aboutit aux fameuses grottes de Saint-Béat ainsi que d’autres grottes très curieuses
avec d’excellents exemples de stalactites.
Mais nous ne résistons pas à l’envie de regagner la montagne, de passer encore
une ou deux journées ici. Nous irons par l’alpage de Vorsass au Niederhorn
(1965 m.), au Burgfeldstand (2067 m.) et même au Gemmenalphorn (2045 m.) en
trois ou quatre heures, mamelons de la longue arête rocheuse d’un côté, recouverte
de pâturages de l’autre, qui sépare Beatenberg du Justisthal. L e s skieurs y trouvent
un champ très apprécié pour leurs évolutions, les simples amateurs de très beaux
paysages qu’ils admirent en silence ; l’un d’entre eux (Echo des A lp e s, 1884) nous en
donne la description suivante : « Les géants de l’Oberland bernois sont maintenant
tous en ligne : Wetterhorn ! Schreckhorn! Eiger ! Mônch! Jungfrau ! — Présents !
Le plus grand se dissimulant derrière l’Eiger fait le modeste. Sous leur bel uniforme
blanc, avec leurs lignes altières, ils sont assez beaux, assez grands sans relever la
tête ; ils ne se redressent pas parce que nous les regardons. Le s voilà tels qu’ils sont
depuis les siècles inconnus de leur origine; le jour, la nuit, en été, en hiver, indifférents,
impassibles, indomptables. Qu’il pleuve ou qu’il neige, qu’il fasse chaud ou
qu’il fasse froid, cela ne leur importe guère. Quand le soleil vient, ils le laissent
briller ; quand la tempête souffle, ils la laissent passer. Que n’ont-ils pas vu, entendu,
contemplé au ciel et sur
la terre depuis le jour
où, poussés par un effort
m y s t é r i e u x . . . i ls o n t
élevé dans l’espace leurs
gigantesques fronts ! »
L e r e to u r v e r s la
plaine s’effectuera par la
croupe boisée de Wald-
egg, le r e s t a u r a n t de
L uegehüttli, et l’entrée
de la vallée d’Habkern,
assez peu visitée, mais
réservant de jolies surprises
à qui se donne la
peine d’y pénétrer. Beatenberg vu d'Aeschi.