En attendant le train qui nous ramènera à Zweissimmen, notre point de départ,
une réminiscence d’ancienne lecture nous revient à l’esprit et, pour la vérifier, de
retour à la maison, nous ouvrons le remarquable ouvrage de M. W . A . B. Coolidge
« Josias Simler et les origines de /’alpinisme jusqu'en 1600 ». Nous y retrouvons les
lignes suivantes, tirées d’une description latine dictée par Fritz Marti, professeur de
grec et d’hébreu à l ’Académie de Berne. Déjà alors — c’était en 1557 ou 1558 — il
s’écriait : « Qui donc n’admirerait, n’aimerait, ne regarderait avec plaisir, ne visiterait
et ne gravirait pas des endroits de ce genre? (Il parlait entre autres de l’ascension du
Niesen par le chemin que nous avons pris tout à l’heure.) Certainement les hommes
qui ne sont pas touchés par de si belles choses méritent à mon avis d’être appelés
des imbéciles, des sots, des niais, des poissons et de lentes tortues. En vérité je ne
puis décrire l ’enchantement et l’amour naturel qui m’attirent vers les montagnes et qui
font que je ne passe jamais mon temps plus agréablement que sur les crêtes
alpines. » E t plus loin il ajoute : « Ceux qui font l’ascension (du Niesen) pour leur
plaisir ont l’habitude de se reposer là (au sommet), au milieu des rochers et des gros
blocs, — c’est ce qu’attestent les inscriptions, les vers et les proverbes gravés sur
ces blocs, avec les portraits et les noms des auteurs... Nous y avons remarqué cette
inscription en grec : « L ’amour de la montagne est le meilleur. »
E t nous, amateurs des Alpes des xixe et x x e siècles, qui nous imaginions naïvement
que nous avions pour ainsi dire découvert l’Alpe comme source d’intérêt et
d’attraction ! Il y a près de quatre siècles on trouvait donc tout naturel ce qui a trop
souvent passé pour une invention quasi moderne !
L e train qui passe nous arrache à nos réflexions et nous ramène à notre point de
départ, à Zweisimmen.
En montant de la Lenk au Hahnenmos.
III
DE GSTAAD A KANDERSTEG PAR LE WILDHORN
ET LE WILDSTRUBEL
Nous avons évité jusqu’ici la région glaciaire ; nous allons maintenant y pénétrer
pour y rester tout le temps voulu, car il nous tarde de faire de nouvelles expériences.
Nous traversons une fois encore en chemin de fer le plateau des Saanenmôser, — on
ne s’en lasse jamais, — et gagnons Gstaad, une villégiature d’été et d’hiver d’origine
récente. Nous notons au passage près de la gare la belle construction du Bernerhof,
sorte de grand chalet tout en bois, à l ’aspect sympathique, contrastant avec tel autre
qui l’est décidément beaucoup moins.
Une voiture, ou la poste fédérale, nous emporte en une heure, — si notre cheval
trotte bien**— à l’extrémité supérieure de la vallée de la Sarine, au pied même des
escarpements du Sanetsch, à Gsteig, dont les hôtels, entr’autres le très pittoresque
et ancien hôtel de l’Ours à la façade toute sculptée, ouvrent aujourd’hui leur porte
hiver comme été.
Avant d’arriver au village (1192 m.), nous avons admiré dans son complet développement
le grand cirque rocheux au centre duquel s’ouvre l ’échancrure du Sanetsch,
à gauche le fier Spitzhorn (2807 m.)^ plutôt rarement gravi, et à droite la masse du
Schlauchhorn (2587 m-)? des flancs duquel jaillit la haute cascade dite Saanenschuss.