l’un après l’autre le Mittelhorn et le
Rosenhorn, performance faite en un
jour pour la première fois en 1894;
mais pour aujourd’hui, vu l’heure tardive,
il est plus sage de nous rendre
par le plus court à la cabane du Dos-
sen (2 6 5 o m.) en passant par le sommet
du Dossenhorn (3140 m.), un petit
détour à recommander. Agrandi en
1899, ce refuge peut loger vingt-
quatre voyageurs : un gardien en surveille
l ’usage e t perçoit la finance ordinaire.
Tandis qu’il nous prépare une
appétissante soupe, nous nous installons
dans le voisinage pour jouir une
fois encore d’un coucher de soleil très
frappant et d’un aperçu presque sinistre
sur les profondeurs déjà dans
l’ombre de Rosenlaui. C ’est là qu’il
faudra descendre demain.
Hélas ! au matin les nuées recouvrent
tout ; un épais brouillard nous
transperce; une pluie fine se met à
Finsteraarhorn vu de la cabane de la Strahlegg. tomber ; nous partons. Il y a bien des
années, dans des circonstances analogues,
nous rentrions dans la vallée, après une tentative infructueuse du côté du
Dossen. Nous descendions prudemment le long d’un couloir, sur la rive droite du
glacier de Rosenlaui, deux jeunes gens et moi. A plusieurs reprises nous avions
entendu dans l’après-midi de sourds craquements; tout à coup l’un d’entre eux me
paraissant plus fort que les autres, je me retourne et je lève la tête... j’aperçois...
o h orreur!., un énorme bloc de glace, accompagné de beaucoup d’autres, lancé à
toute vitesse et venant directement sur nous par notre étroit couloir ; instinctivement
je tire brusquement mes camarades vers une bosse sous laquelle nous nous aplatissons
de notre mieux. Il était temps ! En cet instant même nous étions aspergés
d une sorte de pluie de grêlons énormes. Le bloc de glace venait de s’écraser en
menus morceaux juste sur la pointe du rocher qui nous abritait et avait été comme
pulvérise ! Je vous assure qu’à cette heure-là plus que jamais j ’ai senti la réalité des
protections providentielles, car a vues humaines nous étions perdus ! C ’est le coeur
plein d une vive reconnaissance, vous pouvez le penser, que nous terminions notre
journée.
A cette époque on ne visitait pas encore les gorges de Rosenlaui creusées par le
Weissenbach ; les 600 mètres de galerie que l ’on a établis depuis lors n’existaient pas
même à titre de projet ; on se bornait à considérer d’en haut ce gouffre effrayant en
se tenant à une distance respectueuse de ses bords perfides.
Après avoir passé tant de nuits dans les cabanes, on éprouve une félicité sans pareille
à prendre un bain chaud indispensable et à s’enfiler dans un lit bien propre,
après avoir fait honneur à une table d’hôte largement servie. Or, tous ces avantages
on les trouve réunis, avec bien d’autres, à Rosenlaui, où nous arrivons fatigués mais
heureux de la réussite de notre longue tournée glaciaire.
Avant de poursuivre nos pérégrinations en d’autres lieux, l’envie nous prend de
contempler à distance une fois encore le monde glaciaire au milieu duquel nous avons
vécu tant d’heures inoubliables;
nous montons
au Schwarzhorn (2930
m.), q u e l’ on n ou s a
beaucoup vanté, l’émule
d’autres cimes du même
nom, qui se dresse dans
le massif du Faulhorn,
à cinq heures de Rosenlaui
p a r la S c h e i -
degg ou le C o l B le u .
Pour le plaisir d’avoir
un compagnon du pays,
nous nous a d jo ig n o n s
un régent d’un village
voisin, qui pendant ses
vacances faisait le métier
de guide.
I n s t a l lé s au p o in t
culminant de la monta-
g n e , où n o u s a v o n s
grimpé sans peine, par
une journée idéale, un
dialogue s’engage bientôt
entre nous, analogue
à celui que reproduit M.
Balavoine, dans sa Poésie
des Grandes Alpes
(Echo des Alpes, 1910),
vu du Pavillon Dollfuss.