Nous voici à Interlaken.
C est le soir, en hiver ; la petite cité oberlandaise si vivante pendant la grande
saison, est plongée dans le calme le plus complet ; les grands hôtels sont presque
tous fermés ; la nuit approche, le ciel a pris une teinte d’un bleu mêlé de jaune v if
sur lequel se détache l ’inoubliable profil du Niesen ; une cloche se fait entendre *, un
char de laitier tiré par un chien, la langue pendante, passe près de nous ; un roquet
ennuyé aboie pour se distraire; un boveiron porte sa boille à la laiterie.... Quel contraste
entre cet Interlaken-là — le vieil Interlaken de nos pères — et celui de la
Hôheweg dans la grande saison ! Quelle promenade que celle de la Hôheweg, même
en hiver, avec ces ormeaux antiques à la ramure délicate et fine derrière laquelle vous
cherchez la silhouette, ou plutôt la masse colossale de la Jungfrau dont la grandeur
comme le puissant élancement vous saisissent.
Pour apprendre à connaître les environs mêmes d’Interlaken, il faut s ’y trouver
entre les mois de juin et d’octobre, car il y a des lignes qui ne sont exploitées que
dans cette période. Ainsi le Harder (1123 m.), dont la station terminus, une maison
blanche au milieu de sombres forêts, s’aperçoit fort bien d’en bas ; il faut y aller pour
voir l’ensemble d’Interlaken et la série des trois grandes cimes bernoises qui y paraissent
fort à leur avantage. Mis en goût de promenade, nous pourrons suivre encore à
pied par un bon sentier la longue arête qui relie le Harder à l ’encoche de Heimisegg
( i85i m.) et gagner ensuite par une descente directe Niederried, au bord du lac de
Brienz. Il faudrait citer tant d’endroits à visiter, comme les forêts du Rügen, Fau-
lensee, Ringenberg, ou encore la Heimwehfluh, au-dessus du château d’Unspunnen...
Qu’est-ce que le Heimiveh ou mal du pays peut avoir à faire avec cette terrasse
desservie par- un funiculaire ? Un souvenir, une allusion à un fait à nous inconnu ? Un
Bernois de l’Emmenthal transporté malgré lui sur ces hauteurs et jetant un regard
mélancolique vers les collines lointaines que l’on discerne tout là-bas du côté de
Berne ? Cela n’est point impossible. Nous avons connu dans une vallée de nos alpes
une personne qui, appelée par ses affaires à émigrer un peu plus haut dans la commune
toute voisine, a deux heures de distance, ne put supporter longtemps l ’éloigne-
ment de son hameau natal et fut obligée d’y revenir parce qu’elle en perdait la santé !
Connaissez-vous l’explication que donne sur les causes du Heimweh le savant
Albert de Haller dans sa troisième relation d’un voyage fait en juillet 1732 (Revue
Alpine de Lyon, 1904) ; écoutez plutôt : « Il est constant qu’en Suisse généralement
l’air est beaucoup plus dilaté, plus léger qu’en tout autre païs.,., des savants disent
que cet air léger et dilaté est assez probablement la raison du mal du païs auxquels les
Suisses sont subjects à l’exclusion de toute autre nation, et surtout ceux qui habitent
les païs de montagne. Ils disent qu’un Suisse, sortant de sa patrie trouve partout où il
va un air plus grossier et plus pesant, que celuy qu’il vient de- quitter ; cet air pesant
empêche-les vaisseaux des poumons à se dilater et se contracter et'par le fait que la
circulation du sang se ralentit. Le Suisse devient inquiet, il sent une certaine angoisse
Jungfrau.