guide mort au Caucase en 1888, né et élevé à Meiringen, longtemps instituteur à
Grindelwald, il était, de par son hérédité et de par les circonstances, prédestiné à devenir
un fervent de la haute montagne. « Comme les grandes personnalités humaines,
dit un de ses amis, les grandes cimes l’attiraient. Tê te froide et volonté de fer, il
n’avait pas l’imagination d’un Javelle, source de poésie sans doute, mais qui peut devenir
source d’illusions ; il mesurait les dangers, évaluait les possibilités ; il était de
droit chef de colonne, actif, prévoyant, responsable. Et malgré toutes ces qualités qui
semblaient devoir l’immuniser contre les accidents mortels et le placer au-dessus des
risques, il est tombé comme tant d’autres. Sous les rhododendrons qui recouvrent sa
tombe au cimetière de Grindelwald, non loin de celle du « Gletscherpfarrer »,
il nous semble entendre sortir comme un puissant garde à vous : De l’audace...
parfois ; de la prudence... toujours ; souvenez-vous d’Andréas Fischer ! N ’est-ce
point du reste lui-même, qui, dans sa dernière conférence, prononcée devant le Club
alpin à Bâle, s’écriait : « Où sont les hardis grimpeurs ? Disparus ! Les uns précipités
» dans leur escalade : Zsigmondi à la Meije, Purtscheller au Dru, Emile R e y au Géant;
» les autres, ensevelis sous l’avalanche, Alexandre Burgener à la Bergli, Mummery au
» Caucase : ombres sévères qui, en nous rappelant le danger, nous exhortent à la pru-
» dence. » « E t devant moi, dit M. Matthey, l’ami que nous citions tout à l ’heure, surgit
sa taille dégagée et robuste, sa tête fine et pourtant énergique et hâlée; et je revois
ses yeux clairs, au regard serein e t distant, ces yeux qui avaient conservé un reflet
de la lumière et de l’infini des vastes horizons alpestres, qui avaient tant de fois regardé
la mort en face et qui se sont fermés pour toujours au sein de la tourmente
dans sa chute sur les pentes glacées de l’Aletschhorn, lui qui pourtant était aussi à
l’aise sur la glace perfide que sur le solide granit. »
Eh bien ! nous tâcherons d’être prudents et nous méditerons ces graves pensers
tout en descendant le long du Grosser-Aletscherfirn : ce glacier ne présente aucune
difficulté, mais gare si le brouillard traînant venait à nous surprendre ! Nous pourrions
errer longtemps sur ces immenses espaces glaciaires, sans points de repère, et
peut-être exposés à passer une nuit dehors, comme ont dû le faire les compagnons
de feu le professeur de Rougemont, à une portée de fusil de la cabane !
Quand nous approchons du rocher qui porte les deux cabanes et le petit hôtel de
la Concordia (2847 m0> des aboiements insolites détournent notre attention dans la
direction du J u n g fr a u -
firn : c’est la meute de
chiens du L a b r a d o r et
du Groenland, stationnés
au J u n g f r a u jo c h , q u i,
tirant après elle un traîn
e au ad hoc, fa i t une
course d’essai. Nous ne
L e Trugberg vu de la Concordia au crépuscule.
pouvons pas dire que cette adaptation aux moeurs polaires nous enchante énormément
! Ce sera curieux ; ce sera un amusement de plus pour les badauds, mais cela
n’aura guère d’utilité pratique, même pour le transport des provisions du lac Mær-
jelen ou du Jungfraujoch jusqu’ici. Enfin attendons d e v o ir ce que cela donnera; c’est
un monde imprévu que notre pauvre esprit de rêveur n’a pas encore su deviner. En
tout cas cela sera un spectacle fort prisé de ceux qui aiment les sensations nouvelles
et inédites et coûtera moins cher qu’une expédition au Labrador ou au Groenland !
Combien plus paisible autrefois était tout ce monde de glaciers où seuls ceux qui
voulaient et pouvaient fa ire 'l’effort nécessaire s’y rencontraient ! E t ici un souvenir
nous revient à l’esprit :
Nous remontions au petit jour les pentes douces du Jungfraufirn, en route pour le
Jungfraujoch, à l’extrémité d’une longue cordée de jeunes gens que dirigeait en tête
un guide de Brigue; je n’avais pas fermé l’oeil pendant la nuit et je marchais somnolent
et la tête lourde ; à un moment donné, j’eus une hallucination tellement vivante et
réelle qu’à vingt-cinq ans de distance j’en revois encore tous les détails ! Tout près