somnolents derrière les persiennes closes de votre compartiment. Comment en un
beau jour n’être pas saisi par l’horizon insoupçonné qui grandit de minute en minute
à mesure que vous approchez du point culminant du passage. C ’est d’abord le Rübli-
horn, un vrai Cervin, hardi, provoquant, sentinelle avancée de ce qu’on pourrait
encore appeler les Alpes vaudoises, un pic qui arrête le regard et retient la pensée.
E t tout là-bas en arrière, voici la silhouette svelte et blanche de l ’Oldenhorn au
sommet de laquelle se rencontrent en un point unique les Alpes vaudoises, bernoises
et valaisannes; et plus à gauche les lignes flexibles et pourtant décidées de
l’Arpelistock et du Wildhorn, toute l’année recouvertes de neige. Ces sommets
constituent ensemble un cadre magnifique à la verte corbeille formée par les vallons
convergents de Gsteig et de Lauenen.
Si le printemps est attrayant sur ces hauteurs, les mois de janvier et de février le
sont encore davantage, quand le soleil, perdu dans un immense ciel bleu parfaitement
pur, fait étinceler ces surfaces blanches ; alors les skieurs et les lugeurs répartis dans
les hôtels des Saanenmôser, de Schônried, de Gessenay, de Gstaad et de Zwei-
simmen s’y rencontrent en foule, rapidement transportés par l’électricité sur un point
ou un autre. On aperçoit comme de véritables vols de messieurs et de dames aux
costumes les plus bariolés, la laine jaunâtre d’antan ayant fait place aux couleurs les
plus crues, les plus discordantes que l’on puisse imaginer; on se croirait au carnaval
sur quelque plage méridionale !
Bien des skieurs s’en vont sur les crêtes avoisinantes : au Hundsrück (2049 m*)>
où l’un d’eux a été enseveli par une avalanche en décembre 1913, à la Hornfluh
(1951 m.), à la cabane de Horneggli ( i 5oo m.), aménagée par le Ski Club de Berne,
un centre des mieux choisis; ils descendent aussi volontiers sur le Turbachthal où ils
vont admirer de superbes érables, parmi les plus remarquables que nous connaissions,
dont l’un mesure six mètres de tour et l’autre à peu près autant. Ils poussent
parfois aussi jusqu’au Lauenenhorn (2497 m.) par le délicieux vallon de Bachgberg
et l’arête ouest, avec retour sur le Turbachthal par le Gifferhorn (2543 m.), deux
sommets d’où l’on jouit d’un admirable panorama, du premier surtout.
Et si nous préférons la tranquillité et les champs de neige inviolés, nous trouverons
sans peine dans ce pays des sites qui correspondent à nos désirs, car la gent
courante des sportsmen tient passablement du mouton dans ses moeurs; elle aime les
lieux où elle est certaine d’être en nombreuse compagnie. Osé-je le dire ? Un des griefs
que nous avons contre ce genre de sport, c’est qu’il abîme en maints endroits nos beaux
champs de neige, aujourd’hui striés à l’infini de lignes entrecroisées, hier encore purs,
vierges, scintillants, à l’époque où nous n’étions qu’une toute petite phalange à parcourir
nos Alpes en hiver! Si vous y ajoutez les voix stridentes, sifflantes ou sonores
de ceux qui, sans respect pour la montagne, semblent parfois avoir pris à tâche de lui
enlever tout ce qu’elle porte en elle de recueillement et de paix, vous comprendrez
que nous fuyions parfois ces lieux dans les moments où ils sont envahis !
Au x Saanenmôser. — Rübli et Gummfluh.
Ceux qui n’usent ni du ski ni de la luge, reprennent le train et, avant le lacet
terminal de la ligne, donnent un regard au grand village de Zweisimmen, aux toits
rouges ou gris, parce que essentiellement moderne. Zweisimmen... les voyageurs
pour Spiez et Interlaken, ainsi que pour la Lenk, changent de voiture ! En certains
jours c’est une vraie cohue bigarrée qui se coudoie avant de se disperser ; nous la
laisserons sè fondre comme une neige de printemps, tandis que nous allons choisir un
pied-à-terre dans cette localité.
Villégiature d’été et station d’hiver abritée, elle occupe une plaine adossée à la
montagne où l’on découvre beaucoup de charmants points de vue et d’où l’on peut
surtout rayonner le plus aisément du monde dans les trois directions données par les
trois lignes de chemin de fer. Comme nous y repasserons prochainement, nous ne
nous y attarderons pas aujourd’hui et nous pousserons plus loin dans une direction
encore différente, généralement ignorée du public.
Accompagnez-nous par une belle journée de novembre et nous irons ensemble de
surprise en surprise, car qui se doute non seulement des beautés, mais même de
l’existence d’un pays entier dissimulé entre les vallées de la Simme et d’Adelboden
derrière une haute muraille crénelée ?
Nous profitons pendant quelques minutes des wagons qui filent sur la Lenk et, à
Blankenburg, dont la vieille maison seigneuriale est partiellement dissimulée derrière
un rideau de verdure, nous pénétrons par le hameau de Bettelried, paisiblement
blotti, à l’abri au pied de la Bettelwald, dans le vallon austère qu’arrose le Bettelried-
bach. Par Môseren et Rüti nous montons sur un dos de pâturage pour nous trouver
subitement comme transportés aux abords de la plus idéale des prairies, semée de