« très difficiles d’accès et il était même dangereux d’y aller à cause des avalanches,
des fréquents éboulements, des montées et descentes abruptes qu’il fallait affronter ».
Les habitants de ces vallées, nous dit-il encore, sont de braves gens, pieux et
simples, montagnards dans l’âme et surtout chasseurs impénitents : pour preuve, on
montre à Guttannen une fenêtre armoriée où on peut lire : « Henri Gasser a, sans
désemparer, abattu quatre cents chamois » et Mârki a encore vu lui-même en 1720
cet infatigable nemrod.
» Deux heures plus haut dans la vallée on rencontre une maison isolée qui dépend
de l’hospice et qu’on appelle Handeck ; comme à l’hospice, on y trouve de quoi boire
et manger. L à finit la vallée de Guttannen, et là aussi s’arrête la végétation. Il n’y a
plus de sapins, et même de là jusqu’à la mine aux cristaux la région est si déserte et
si nue qu’on n’y voit ni bois ni arbuste d’aucune sorte, sauf un unique mélèze, qui
s’élève solitaire sur une hauteur au bord de la route, à deux heures de la Handeck, et
qui pour cela sans doute s’appelle “ le Haut Mélèze. ” »
Màrki remarque aussi que la route de Guttannen à l’hospice est tantôt soutenue
par des murs, tantôt taillée dans le roc v if; il vante la solidité de la roche que l’on
nomme Geisberger : cette solidité est telle que, malgré les præcipitia vers l’Aar qui
roule tout près, les chevaux chargés de deux quintaux, s’ils sont bien ferrés, franchissent
les pas scabreux d’un pied aussi sûr qu’en plein champ. Un des plus effroyables
de ces précipices est non loin de la Handeck et tout proche du Ràterichsboden, et
s’appelle la « Dalle lisse » ; sur une longueur de trente pas, le roc émerge du sol,
aussi uni qu’une table et incliné vers l’Aar ; il faut nécessairement y passer, — et on
y passe, tout étonné de soi-même. Entre Meiringen et l ’hospice, il faut traverser et
retraverser huit fois le torrent dans ce fond de vallée, et cela sur cinq passerelles et
trois ponts voûtés.
L a « plaque » ou rocher lisse, remarquable au point de vue géologique par l’action
du glacier dont témoignent ses rayures comme son poli, et à laquelle se rattache la
légende si connue du muletier du Grimsel, a forcé à d’autres points de vue le respect
des voyageurs. Ainsi le jeune / . 5 . Wyttenbach de Berne et son ami Nicholls d ’Angleterre,
qui y rencontrèrent le 22 juillet i 77I « une longue file de chevaux de bât et de
mulets, n’osèrent pas imiter leur sûreté d’allure et préférèrent ramper sur le roc nu,
presque paralysés de frayeur. » L e récit de ce voyage, imprimé en i 777, nous
donne des aperçus caractéristiques de la façon d’observer et de sentir la nature à
cette époque-là. Entre Guttannen et la Handeck, Wyttenbach rencontre « toute une
forêt d’arolles, dont les fruits sont utilisés comme aliment et colportés au loin comme
remède contre les affections pulmonaires,. phtisie, etc. » Les impressions que lui
cause le paysage sont fort vives : « Peu après, raconte-t-il, nous dûmes passer sur
deux ponts de pierre dont l’un a été placé à coups de mine très haut dans les rochers
entre lesquels l’Aar se précipite avec un bruit formidable ; les flots écumants du
torrent offrent au voyageur un spectacle grandiose, mais terrifiant, et avec un vacarme
tel qu’il est impossible à deux personnes, même en criant très fort, de se faire comprendre
l’une de l’autre. »
A l’endroit d’où une branche de la vallée supérieure se prolonge vers le couchant
et vers le glacier de la Lauteraar, les deux amis prirent à gauche et gagnèrent enfin,
« à bout de force et affreusement fatigués » leur gîte, que le même Wyttenbach nous
décrit agréablement sous son aspect primitif, sans parler du service plus que simple.
Le lendemain à midi, ils franchissaient le Grimsel et entraient en Valais. L ’endroit où,
de chaque côté du chemin, s’élèvent les bornes-frontières, est un large plateau assez
uniforme, auquel on accède par des rampes escarpées, après avoir traversé une vaste
étendue de neige gelée où seuls des poteaux plantés de loin en loin tiennent compa-
Hospice du Grim!
g nie au passant. « Cette région est si sauvage et désolée, et présente une si fidèle
image du Spitzberg que je croyais à tout instant voir apparaître ours blancs, loups
ou rennes. Sur la gauche, à une certaine distance, on aperçoit le petit Lac des
Morts, » etc.
Que Wyttenbach n’ait pas vu dans la vallée du Haut Hasle avec sa cascade
de Handeck et le glacier de Lauteraar des « merveilles de la nature » dignes
d’être visitées pour elles-mêmes, cela peut paraître surprenant, car déjà alors, dans
les Vues remarquables des Montagnes de la Suisse, avec leur description, éditées dès
1778 par le libraire bernois Wagner (plus tard par Henzi), il y avait la cascade
de la Handeck par le peintre, bernois également, Kaspar Wolf, une des plus belles
feuilles de la collection. Ces Vues, très répandues, contribuèrent pour une bonne
part à faire connaître et aimer cette partie de l ’Oberland bernois, et d’année en année
le nombre des voyageurs « sensibles » s’accrut.