de faire diversion à sa peine et de rendre à son âme affaissée, sinon la jouissance, du
moins le ressort et quelque vigueur.... Ainsi donc, hommes de tout rang et de toutes
positions sociales, et vous aussi, affligés et esprits moroses, inquiets, équipez-vous, si
toutefois la vigueur et la santé vous ont été laissées, et partez, même malgré un peu
de répugnance, portez-vous rapidement dans ces contrées.... »
L a rapidité des voyages au temps de Tôpffer, on sait ce qu’elle était, alors qu’il
fallait commencer par fournir de longues étapes dans la poussière ou la boue avant
d’atteindre le voisinage immédiat des vallées à parcourir! Aujourd’hui, combien c ’est
différent ! De Genève, on gagne lés portes mêmes de l’Oberland en une bonnejdemi-
journée, confortablement installé dans un des rapides des Chemins de fer fédéraux ou
dans l ’un des w agons du Montreux-Oberland. On peut en effet aborder les rives du lac
de Thoune aussi bien par Château-d’OEx et Zweisimmen que par Berne et Thoune.
Si l’on part des bords du Léman, la première méthode nous paraît de beaucoup
la meilleure; de la Suisse allemande, en revanche, il est évident que la seconde s’impose
; et pourtant nous ne saurions trop recommander à nos lecteurs d’essayer alternativement
de ces deux méthodes. Ils constateront que l’une complète l ’autre et qu’elles
nous mettent dès l’abord en contact chacune avec un ordre spécial de beautés naturelles.
En effet, pour apprécier à leur vraie valeur lés hauts sommets, une certaine
préparation est nécessaire. Aussi est-il bon qu’il y ait gradation dans le genre de
spectacles que l’on va admirer; les colosses glaciaires de l’Oberland ne se révèlent
dans leur complète royauté que si le regard et l ’esprit se sont peu à peu faits à ce
genre de perspectives, de lignes et de colorations.
Quand, venant de l’étranger, on se trouve transporté, presque subitement et sans
aucune préparation, des paysages londoniens, parisiens ou berlinois en plein monde
alpestre, on est frappé, peut-être, par ce que l’on voit, mais on ne saurait l’apprécier
vraiment. Voilà pourquoi, avant de pénétrer dans ce monde inouï des hautes cimes
blanches et des immenses solitudes glaciaires, il faut commencer par se familiariser
avec cet autre genre de beauté plus douce, plus compréhensible qu’offrent nos préalpes.
Nous voudrions essayer de vous orienter dans ce monde en apparence inextricable.
L ’ayant parcouru en tous sens et à toutes saisons, nous avons recueilli beaucoup de
souvenirs, d’impressions et de notes ; nous avons vu ce que voit tout le monde, mais
aussi ce que bien peu ont l’idée d’aller découvrir pour eux-mêmes, parce qu’ils ne
se doutent pas du charme qu’offrent certains sites, dont le nom est enfoui dans tel
volume peu répandu. Mais ici notre conscience de Suisse nous arrête: T u vas donc faire
connaître à la gent badaude et internationale ces retraites adorables où tu t’es senti
tout heureux d’être solitaire au sein du vieux pays de tes ancêtres? T u vas par de
malencontreuses révélations attirer l’attention, non seulement des amis sûrs de l’alpe,
qui te comprendront et s’en iront vérifier tes dires, mais encore de ceux qui ne cherchent
que fonds à risquer, hôtels à construire, rails à poser contre la montagne,
poteaux rigides à dresser dans la pure lumière des sereines hauteurs !
Hélas ! que répondre à ces inquiets ? D’une part mon sens intime dit : dans une
certaine mesure, ils ont raison, S et d’autre part : est-il juste de prétendre garder
pour toi les noms de ces sites charmants ou merveilleux? Voudrais-tu, égoïste,
oublier ceux qui aspirent avec toi à pénétrer dans l’intimité de leur patrie et qui ne
demandent qu’à être éclairés et conduits aux endroits où leur âme sera satisfaite?
Conscient du danger que nous faisons courir à certaines localités encore ignorées
du grand public voyageur, nous mettrons à profit les sages conseils d’un hôtelier qui
en un langage pittoresque rappelait à ses pensionnaires leurs devoirs les plus élémentaires
: « Prière aux voyageurs de faire du tapage tant moins que possible... » Nous
nous garderons donc de faire plus de bruit que nécessaire, de crainte de réveiller une
renommée qui dort encore!
En facilitant le contact entre le lecteur et cette nature forte et vivante, nous voudrions
contribuer pour notre part à faire naître et à développer le sens de la vraie joie
de vivre. Sans doute elle ne saurait exister réellement que là où l’harmonie entre notre
âme et l’Ame génératrice de la nôtre a été rétablie sur son véritable fondement;
mais elle peut grandir, se fortifier, s’épanouir en une douce efflorescence de joies
secondaires mais intenses. Autant le poète et l’homme religieux qui vivent ou dorment
en chacun de nous, doivent être assurés de trouver ici un peu de ce qu’il leur faut»
autant le géographe, l’ascensionniste, le promeneur et le curieux des choses de la
montagne ont le droit de réclamer une suffisante satisfaction. Sans avoir du reste la
prétention d’être complet sur tous les points, nous vous invitons à un voyage rapide,
ce qui ne signifie pas superficiel, soigneusement préparé et organisé en un nombre
déterminé d’excursions.
Nous formons donc, ô lecteur, le projet d’être votre guide au cours de ces excursions.
Certaines listes placardées aux murs de tel village affirment que votre serviteur
jouit d’un diplôme reconnu valable par les autorités compétentes ; il y a là déjà de
quoi tranquilliser un peu vos inquiétudes. Essayez donc ; si vous n’êtes pas satisfaits
de votre cicerone,... vous aurez au moins l ’occasion de jouir des paysages que
1 excellent artiste, M. Boissonnas, fera défiler devant vous, résultat de nombreuses
expéditions faites à votre intention.
Nous avons groupé les données essentielles sur les différentes parties des Alpes
bernoises en une série de dix excursions. Par la force des choses nous laisserons de